Par Frédéric Lejoint.
Philippe d’Orgeval a rejoint Amundi en 2020, fort d’une longue expérience sur les marchés financiers qui l’aura vu occuper diverses fonctions notamment chez Axa IM ou Rothschild, en France et au Royaume-Uni. Il occupe depuis septembre 2024 la fonction de directeur adjoint des gestions du groupe. Nous avons récemment eu l’occasion de le rencontrer à l’occasion du Amundi World Investment Forum, organisé récemment à Paris par le gestionnaire.

Quelles sont vos attentes pour l’environnement macroéconomique pour la fin de l’année ?
Philippe d’Orgeval : « Nous tablons sur une croissance en dessous de la tendance historique, soit environ 0,8% pour l’Europe avec une inflation sous l’objectif de la BCE ; et 1,6% pour les Etats-Unis avec une inflation au-dessus de 3%. Ceci devrait se traduire par deux ou trois baisses de taux de la Réserve Fédérale d’ici la fin de l’année, tandis que la BCE pourrait encore baisser son taux directeur à plusieurs reprises pour atteindre 1,5 à 1,75% ».
Il y a quand même une forte divergence actuellement au niveau des attentes pour la Fed…
P.O. : « Il y a clairement une polarisation, notamment sur la manière dont les tarifs vont impacter l’économie américaine. A minima, nous pensons que les droits de douane de 10% vont s’appliquer à tout le monde, avec un tarif moyen qui devrait atteindre 15% pour l’ensemble des importations. Certains éléments dans les indicateurs avancés (soft data) indiquent que le consommateur américain est en train de devenir plus prudent et anticipe une hausse de l’inflation. Pour le moment, les indicateurs finaux (hard data) ne montrent pas encore l’impact complet des tarifs, mais nous pensons que cela va se produire durant les prochaines semaines, au travers des données économiques et des marges des entreprises. La Fed sera alors poussée à agir ».
Quels sont les principaux facteurs de risque actuels sur les marchés ?
P.O. : « Le premier est une résurgence des tensions commerciales lorsque le moratoire viendra à expiration. Ce serait un scénario très négatif si les négociations se durcissent ou ne parviennent pas à se finaliser, avec un impact sur la croissance qui sera d’autant plus fort, et une Fed qui devra se montrer encore plus agressive pour baisser son taux. Le deuxième est un risque géopolitique majeur, qui n’est pour le moment pas extrême en dépit de la tension entre Israël et l’Iran et des risques qui pèsent sur le Détroit d’Ormuz ».
Le dérapage fiscal aux Etats-Unis ne vous inquiète pas ?
P.O. : « La loi fiscale aux Etats-Unis devrait avoir un impact sur les consommateurs les moins fortunés, et impacter les dépenses de santé. C’est un autre élément qui nous pousse à tabler sur une Fed plus accommodante durant les prochains mois. Cette incertitude budgétaire n’est toutefois limitée aux Etats-Unis, et touche également plusieurs pays européens. Nous avons une prudence assez marquée sur les parties les plus longues des courbes de taux, en particulier sur les échéances à 30 ans. En parallèle, nous apprécions plutôt les émissions à 5 ans en Europe et aux Etats-Unis, qui devraient être davantage impactées par les baisses de taux ».
Vous ne tablez pas sur un dérapage au-delà de 5% pour le taux à 10 ans américain ?
P.O. : « Non, je pense que si on atteint ce niveau, il y aura quand même beaucoup de forces qui se mettront en place, qu'elles soient liées aux autorités et même aux investisseurs. La banque centrale américaine interviendra, et un taux de 5% constitue également un niveau qui poussera de nombreux investisseurs à revenir sur la dette à 10 ans ».
Comment avez-vous adapté vos allocations suite à ce premier semestre plutôt volatil ?
P.O. : « La violence des négociations tarifaires et le changement de paradigme au niveau allemand ont constitué des surprises majeures. Étant donné les ruptures fréquentes dans nos scénarios, nous avons été forcés de ne pas réagir de manière trop immédiate à ce qui se passait et d’apporter une attention encore plus importante à une bonne diversification des risques en augmentant les couvertures sur certaines zones du marché. Nous avons également renforcé notre capacité d’analyse au niveau géopolitique, avec la création d’une série d’indices de sentiment géopolitique au niveau de l’ Amundi Institute. Sur base d’informations collectées dans les marchés, ils nous donnent des grilles de lecture supplémentaire et sont ensuite utilisés par nos équipes de gestion ».
Quel est votre positionnement actuel sur les marchés ?
P.O. : « Dans un contexte où la récession ne se produit pas et où les bénéfices continuent de progresser, nous restons légèrement positifs sur les actions. Nous avons adopté une approche plus équilibrée sur les Etats-Unis et une surpondération sur l'Europe, avec une exposition renforcée sur les petites et moyennes capitalisations. Notre positionnement est également positif sur les pays émergents, en particulier sur un pays comme l’Inde ».
Et au niveau obligataire ?
P.O. : « Nous restons positifs sur le crédit de bonne qualité (investment grade), avec une exposition très faible sur la dette de moins bonne qualité (high yield). Ici aussi, nous préférons les actifs européens, et en particulier les émissions du secteur financier. Sur le marché des changes, nous restons prudents sur les perspectives de la devise américaine, avec un euro qui pourrait encore se renforcer vers 1,2 dollar. Enfin, nous conservons nos positionnements sur l’or, en guise de diversification et de protection dans un contexte ou l’incertitude reste élevée ».
Quels sont les grandes thématiques sur les marchés à moyen terme ?
P.O. : « La démographie va continuer de jouer un rôle important dans nos allocations à moyen terme, et créer une différence entre les pays développés et les pays en voie de développement. Le climat reste également un facteur important à prendre en considération, notamment sur la manière dont les entreprises vont être en mesure de s’adapter à la hausse des risques physiques et à leur impact sur la rentabilité ».
De quelle manière l’IA impacte aujourd’hui votre gestion des portefeuilles ?
P.O. : « Au niveau de la gestion, l’IA est un facteur qui sera déterminant pour l’évolution de la productivité, et nous avons intégré cet impact dans nos Capital Market Assumptions que nous utilisons pour piloter nos allocations d’actifs de long terme. Au niveau de la gestion en elle-même, nous sommes en train de développer un outil nous permet ainsi de regarder les décisions du gestionnaire, afin de déterminer notamment s’il a tendance à vendre trop tôt ou trop tard. Cet outil rencontre un certain intérêt auprès de nos gestionnaires parce que ça leur permet de voir les biais inconscients qu’ils peuvent avoir dans la construction de leur portefeuilles ».