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Virage dangereux pour la politique économique américaine
Calendar17 Jul 2025
Thème: Investir
Maison de fonds: ODDO BHF AM
Oddo bhf am


Prof. Dr. Jan Viebig, Chief Investment Officer, ODDO BHF SE


Le projet de loi budgétaire du président Trump adopté par le congrès américain à la fin de la semaine dernière malgré des réticences au sein même du parti républicain, crée des risques incalculables pour la politique économique américaine. Trump a eu recours à la procédure dite « omnibus » pour regrouper diverses mesures législatives dans une seule « Grande et belle loi » dont le texte s’étend à plusieurs milliers de pages – beaucoup trop long et dense pour que les députés et les sénateurs aient pu en étudier toutes les dispositions dans le détail. Trump a notamment prolongé les allégements fiscaux adoptés lors de son premier mandat, d’une valeur de 4 500 milliards de dollars.


Avec ce projet de loi, Trump sape toute velléité de discipline budgétaire et ouvre la voie à une nouvelle hausse du déficit et de la dette nationales. Les investissements nécessaires dans les infrastructures sont liés à des crédits d’impôts ou à des subventions temporaires, créant des inefficacités dans la répartition des fonds publics, ce qui aurait tendance à freiner la croissance à long terme. Il semblerait que l’espoir soit désormais le principe directeur des finances publiques. Pour citer le secrétaire au Trésor Scott Bessent : « Si nous réussissons à inverser la trajectoire de croissance du pays et de l'économie, nous pourrons stabiliser les finances et sortir de cette situation via la croissance. » [1] Il suffirait donc, selon Bessent, que l’économie progresse plus rapidement que la dette.


Trump et Bessent font un pari risqué. Cela ne veut pas dire qu’il sera forcément perdant. En effet, les marchés boursiers américains ont initialement réagi positivement à l’adoption de la « Grande et belle loi ». Cependant, nous sommes d’avis que cette politique budgétaire implique des risques bien trop importants pour le peuple américain. Les finances publiques sont un enjeu vital pour un pays de sorte qu’une approche prudente soit essentielle.


La dette nationale américaine s'élève actuellement à 123 % du produit intérieur brut (PIB), soit 36 200 milliards de dollars. Le budget de l’année en cours s’élève à 7 000 milliards de dollars dont 2 000 milliards (un peu moins de 30 %) devront être financés par des emprunts. Le déficit public américain équivaut à environ 6 % du PIB, soit le double du maximum autorisé en zone euro. La loi qui vient d’être adoptée aggravera immanquablement le déficit de financement du budget fédéral. Au cours des dix prochaines années, la hausse des taux d'intérêt et la prolongation des allégements fiscaux ajouteraient 5 500 milliards de dollars au déficit public, selon les estimations du Comité pour un budget fédéral responsable.


Financer la politique économique de Trump par la dette pourrait bouleverser les marchés obligataires mondiaux. Le président américain pourrait se retrouver dans une situation comparable à celle du gouvernement britannique en 2022, lorsque la Première ministre Liz Truss avait tenté de financer des baisses d’impôts par la dette — une stratégie à laquelle les marchés financiers s’étaient vivement opposés. En gonflant encore plus la dette nationale, Trump mise plus que tous ses prédécesseurs sur la bienveillance des marchés financiers. Mais si les investisseurs venaient à douter de la solidité de la politique budgétaire américaine, le financement – ou le refinancement – de cette dette colossale pourrait devenir problématique. Les taux d’intérêt grimperaient et le dollar s’affaiblirait. Une crise de la dette pourrait entraîner à son tour une crise financière. Le statut du dollar comme monnaie de réserve mondiale a permis à tous les présidents américains depuis 1945 de de se tourner vers les marchés des capitaux pour financer les dépenses publiques. Toutefois, la situation pourrait changer, d’autant plus que, depuis quelques mois, des grands investisseurs étrangers font preuve d’une certaine frilosité envers les États-Unis.


Les rendements des obligations d'État américaines n’ont pas encore pris l’ascenseur, mais la facture des intérêts de la dette s’est considérablement alourdie au cours des trois dernières années. Début juillet 2022, les bons du Trésor à dix ans affichaient un rendement d'environ 3 %. Aujourd’hui, ce chiffre frôle les 4,4 %. Les bons du Trésor à trente ans ont même atteint des pics de plus de 5 %. La perte de confiance des investisseurs étrangers est visible surtout dans l’évolution du dollar : lors de l’entrée en fonction de Donald Trump, le 20 janvier, l’euro valait 1,03 dollar, contre 1,17 aujourd’hui.


Ce qui crée l’inquiétude actuellement, ce n’est pas seulement la politique budgétaire des États-Unis mais plutôt le cocktail toxique de trois éléments :


  • une politique budgétaire expansionniste,

  • une politique monétaire restrictive, et

  • une politique commerciale erratique.


La Réserve fédérale maintient son taux directeur entre 4,25 % et 4,5 %, bien au-dessus du taux d'inflation actuel. Même l'inflation sous-jacente, généralement plus persistante que l'inflation globale et donc plus difficile à combattre, n’était que de 2,8 % en mai, contre 2,4 % d'inflation globale. Par conséquent, les taux d’intérêt réels (les taux nominaux corrigés de l’inflation) restent relativement élevés, à un peu moins de 2 %. Ils ont même augmenté au cours des derniers mois.


La Réserve fédérale hésite à baisser de nouveaux les taux directeurs. Cette prudence nous semble largement justifiée dans le contexte de la politique budgétaire expansionniste du président Trump qui, couplée à sa stratégie commerciale erratique, alimente l'incertitude et complique la tâche de la banque centrale. Par conséquent, les taux d'intérêt pèsent sans doute plus lourdement sur l'économie américaine que nécessaire. Cette pression s’exerce autant sur les entreprises que sur les ménages, sans oublier l’immobilier. La hausse du niveau de risque pourrait aussi mener les banques à durcir leurs conditions de crédit.


Graphique 1 : Indice du dollar US et rendement des obligations du Trésor à 10 ans : Rupture de corrélation


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Source : LSEG Datastream, l'indice USD mesure la valeur du dollar américain par rapport à un panier des plus importantes devises étrangères.


La politique erratique du gouvernement américain en matière de commerce extérieur, associée à sa dépendance aux marchés de capitaux internationaux pour financer des déficits budgétaires croissants, provoquera à notre avis immanquablement une pentification de la courbe des rendements. Il existe historiquement une corrélation positive entre les rendements des bons du Trésor américains à long terme et la valeur du dollar. Toutefois, suivant l’introduction en avril de la politique douanière du président Trump, la tendance s’est inversée, comme le montre le graphique ci-dessus : l'indice USD a reculé tandis que les rendements des bons du Trésor américain ont progressé, se maintenant depuis à des niveaux élevés. La combinaison d'une politique budgétaire expansionniste, d'une politique commerciale incertaine et d'une politique monétaire restrictive semble avoir déjà fortement entamé la confiance des investisseurs à l’égard des États-Unis.


[1] Scott Bessent le 23 mai 2025 dans un tweet sur la plateforme de médias sociaux X.