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Domination fiscale : retour vers le futur
Calendar03 Oct 2025
Thème: Investir
Maison de fonds: DNCA Investments
Dnca


Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.


Le moins que l'on puisse dire, c'est que Donald Trump ne ménage pas sa peine quand il s'agit de mettre sous pression La Fed et son président Jay Powell. La nomination récente de Stephan Miran au sein du conseil des gouverneurs et la tentative d’éviction de Lisa Cook de ce même conseil sont les dernières scories du conflit opposant les deux présidents depuis le retour du magnat de l’immobilier à la Maison Blanche. Cet acharnement amène inévitablement à s'interroger quant à l’end game de DTJ concernant l'institution monétaire qui garantit la stabilité financière mondiale depuis plusieurs décennies.


La stratégie affichée de Donald Trump est de remplacer certains membres du conseil de la Réserve Fédérale pour détenir une majorité au sein de celui-ci. Rappelons que c'est ce conseil qui valide les nominations des responsables des Fed des régionales et que plusieurs mandats seront renouvelés en 2026. Ces changements devraient permettre d’accélérer les baisses de taux directeur, et donc alléger le coût des crédits hypothécaires à un moment ou le secteur de la construction est en mauvaise posture. L'objectif second est potentiellement de « subordonner » la politique monétaire conduite par la Fed aux impératifs budgétaires de l'administration actuelle, pour le cas échéant monétiser les déficits qui vont avoir tendance à gonfler à la suite de l’implémentation du Big Beautiful Bill.


Si l'histoire est un guide, c'est sans doute la période 1970-75 qui vient à l'esprit. A cette époque, le Président Nixon avait remplacé William McChesney Martin par Arthur Burns à la tête de la Réserve Fédérale et avait ensuite déclaré : « Je respecte son indépendance. Cependant, j’espère qu’en toute indépendance il conclura que mes opinions sont celles qui doivent être suivies. ». On connaît la suite : Burns avait baissé massivement les taux directeurs pour faciliter la réélection du Président (de 9% à 3% fin 1972). Cette complaisance monétaire avait ensuite a provoqué un raz de marée inflationniste (de 3% à 12% fin 1974), puis une remontée tardive des taux courts (à 13%) et enfin une récession.


Dans un passé plus récent, les programmes massifs d'expansion des bilans des banques centrales (Quantitatif Easing) lors de la grande crise financière de 2008 et de la pandémie de COVID ont rendu plus ténu la frontière entre politique budgétaire et monétaire, mais à chaque fois avec comme but unique de réduire la volatilité et revenir à une situation de calme sur les marchés. Mais dans le cas présent, un régime de domination fiscale minorerait l’objectif de maîtrise de l’inflation par la Fed.


Les vigies obligataires, fortes de ces expériences passées n’ont pas tardé à réagir en faisant flirter le rendement de l'obligation d'Etat américain à 30 ans avec les 5% et provoquant un mouvement de pentification significatif de la courbe des taux. Cette hausse correspond principalement à une reconstitution de la prime de terme, qui reflète le rendement supplémentaire que les investisseurs exigent pour détenir des obligations longues et donc compenser le risque temporel. Le modèle de la Fed de New York l’évalue actuellement à 65bp, au plus haut depuis 10 ans. Cela peut être considéré comme un retour à la normalité après avoir été essentiellement négative lors de la décennie 2014-24, en raison de la politique monétaire appliquée par la Fed.


Mais les États-Unis n'ont pas le monopole de la volatilité sur les parties longues des courbes de taux : dans le même temps, les rendements des dettes souveraines du Royaume-Uni et du Japon ont eux aussi atteint des niveaux inconnus depuis 25 ans. Preuve que les investisseurs sont également inquiets des limites budgétaires de ces pays et ce, même si leurs gouvernements ne sont pas aussi vocaux vis-à-vis de leurs banques centrales respectives. Depuis, une série de chiffres mitigés concernant l'état du marché du travail américain a relancé les attentes d’ajustement de taux directeur de la part de la Fed, faisant rebaisser le taux de cortisol des investisseurs obligataires.


Ray Dalio, vétéran des stratégies « global macro » et fondateur du hedge fund Bridgewater Associates s’est récemment exprimé à propos de la situation des pays les plus endettés en parlant d’une « spirale mortifère de l’endettement ». Selon le gérant, dans un cas extrême, les banques centrales devraient une fois de plus intervenir comme prêteur en dernier ressort, en faisant marcher la planche à billets pour acheter de la dette d'Etat dans le but de faire redescendre les taux d'emprunt. Dans un tel scénario, il considère que la valeur des principales monnaies de réserve serait automatiquement dépréciée et que l'or (encore lui) verrait son statut de valeur refuge encore renforcé.


Le pire n’étant jamais sûr, deux indicateurs doivent être suivis pour évaluer le degré de crédibilité de la Fed : l'évolution du point mort d'inflation américain échéance 10 ans (2,4% au moment de la rédaction de ces lignes) et la cohérence entre les projections de taux des membres de la Fed (dot plots, avec un taux terminal de 3.125%) et les anticipations des marchés monétaires. Sur la base des chiffres actuels, rien ne permet d’affirmer que la Fed est considérée comme irrémédiablement compromise…