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Mission impossible ?
Calendar17 Oct 2025
Thème: Investir
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Alexis Bienvenu, Gérant, La Financière de l’Échiquier (LFDE) | octobre 2025 


Les banques centrales s’interrogent sur leurs missions. En Europe, plusieurs pistes ont été formulées pour renouveler le mandat de la Banque centrale européenne (BCE) sans nécessairement modifier fondamentalement son traité fondateur. Car si le mandat principal de la BCE réside strictement dans la stabilité des prix, son objectif secondaire, défini dans l’article 105 du traité de Maastricht [1], consiste à « soutenir les politiques économiques générales de l’Union », à savoir « une croissance durable et non inflationniste, respectant l’environnement (…), un niveau d’emploi et de protection sociale élevé ». Sur cette base ont émergé des pistes de réflexion telles que la fixation de taux d’intérêt préférentiels pour les investissements « verts », ou plus radicalement — comme l’a défendu Emmanuel Macron — la définition d’un objectif de croissance et de décarbonation. La pression vers une interprétation élargie du mandat européen est sensible.


C’est l’inverse à Washington. Récemment, une initiative visant à réduire l’ampleur du mandat de la Réserve fédérale américaine (Fed) a vu le jour. Jusqu’ici, la Fed poursuit un mandat étendu présentant deux facettes principales : contrôler l’inflation et œuvrer en faveur du plein emploi. L’objectif du Price Stability Act, soutenu par un groupe d’élus républicains rassemblés sous l’égide du président de la commission des services financiers de la Chambre des représentants, M. French Hill, serait de limiter son mandat au seul contrôle de l’inflation. Aussi surprenante soit-elle, surtout dans un contexte où l’emploi américain montre des signes d’essoufflement, cette initiative se réclame pourtant d’un retour aux sources typique du mouvement MAGA [2]. La mission originelle acceptée par la Fed lors de sa fondation en 1913 consistait en effet principalement à préserver la stabilité bancaire et monétaire du pays, soumis à des crises financières récurrentes. Ce n’est que dans le contexte des années 1970, marqué par l’explosion du chômage et de l’inflation, que la Fed s’est vu attribuer un objectif lié à l’emploi. Depuis lors, elle doit naviguer entre ses deux mandats, quitte à sacrifier l’un pour l’autre lorsqu’ils semblent incompatibles à court terme. Ainsi, lorsque l’inflation et le chômage ont augmenté au début des années 1980, la hausse drastique des taux pour lutter contre l’inflation l’a temporairement emporté sur le soutien à l’emploi.


La proposition en faveur d’un retour au mandat originel présenterait deux avantages : une meilleure lisibilité et une absence de conflit entre les deux termes du mandat. Son acceptation sociale et politique n’en serait pas nécessairement diminuée, car le ressentiment lié à l’inflation est, potentiellement, tout aussi fort que celui à l’égard du chômage tant que ce dernier demeure relativement modéré. En outre, une banque centrale ne dispose pas de leviers spécifiques en matière d’emploi, par exemple sur la formation, la fiscalité ou la politique industrielle. Pourquoi donc l’impliquer là où elle ne peut être efficace ? Vu sous cet angle, le principe « less is more » pourrait bien s’appliquer aux missions des banques centrales. L’issue du débat n’est pas scellée, et ne le sera probablement jamais définitivement. Une dynamique fluctuante entre les volontés d’élargissement et de rétrécissement des missions des banques centrales continuera à orienter les liquidités mondiales. C’est pourquoi les investisseurs doivent être particulièrement attentifs aux débats qui se jouent actuellement. De l’évolution de cet équilibre dépendra en effet, pour une large part, la trajectoire économique du monde.


[1] Traité sur l’Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992 et entré en vigueur le 1er novembre 1993.

[2] Make America Great Again.