Alexis Bienvenu, Gérant, La Financière de l’Échiquier.
La France, selon le chef d’état-major des armées françaises, doit se tenir prête à « perdre ses enfants » en cas de conflit militaire. Cette déclaration du 20 novembre dernier a provoqué une onde de choc. Mais, d’une certaine façon - heureusement sans drame - la France perd déjà ses enfants, du moins en proportion du reste de la population. Le nombre de naissances décroît en effet par rapport aux décès, à tel point que le solde naturel français sur douze mois est devenu négatif en mai 2025 pour la première fois depuis 1945. Les projections de l’Institut national d’études démographiques confirment cette tendance : le solde naturel français devrait demeurer structurellement négatif à partir de 2027, en s’accentuant [1].
La France n’est pas unique. Le Japon perd déjà près d’un million d’habitants par an, si l’on excepte l’immigration, très faible. En Europe, l’Allemagne et l’Italie mènent la marche funèbre : leur solde naturel est négatif depuis plusieurs années. Seule l’immigration leur permet, bon an mal an, de rester à flot mais pour combien de temps ? L’Europe de l’Est et la Russie connaissent des soldes naturels encore plus dégradés, sans compter les pertes humaines dues à la guerre en Ukraine pour cette dernière, estimées à plusieurs centaines de milliers de personnes.
Parmi les grands pays industrialisés, les États-Unis se distinguent. Non pas en raison de leur solde naturel, qui se dégrade fortement lui aussi - selon le Congressional Budget Office, il passera dans le rouge dès 2031 -, mais en raison de leur immigration, jusqu’ici plus forte. Leur population devrait ainsi continuer à augmenter dans les prochaines décennies, à moins que leur politique migratoire ne devienne plus restrictive, comme l’exige Donald Trump, ce qui représenterait un coût important.
D’un point de vue économique, comment ces pays à la démographie déclinante évolueront-ils ? Selon le consensus, l’épargne prudente devrait s’accroître aux dépens de l’investissement. Les gains de productivité seront a priori sous pression, de même que les budgets nationaux, soumis à des dépenses croissantes liées au vieillissement, alors que la quantité de travail taxable se réduit.
Face à ces évolutions impitoyables, les pays d’Europe du Nord et le Japon notamment adoptent des solutions drastiques : augmentation de l’emploi des seniors, recul de l’âge de la retraite, cumul emploi-retraite par exemple. L’immigration serait une solution d’un point de vue économique, mais son acceptabilité sociale et politique peut questionner. Dans cette configuration, la survie économique des pays vieillissants implique notamment le remplacement du travail humain par des technologies, ainsi que la captation de la richesse créée par le travail produit dans les pays plus jeunes. Idéalement, les investissements des pays seniors dans les entreprises des pays juniors comportent un avantage réciproque. D’un côté, les revenus tirés du travail des pays jeunes permettent aux habitants des pays âgés d’améliorer leur situation financière. Et de l’autre, les capitaux investis fournissent aux pays productifs l’opportunité de développer leur propre économie. Si ces flux sont mal administrés en revanche, et si les termes de l’échange sont déséquilibrés, le risque existe qu’une sorte de vampirisation des pays seniors envers les pays travailleurs s’instaure. Mais tout vampire a intérêt à conserver sa cible en bonne santé ; et la cible tient le vampire dans sa dépendance.
Dans tous les cas, un glissement tectonique au sein de la répartition planétaire du travail est inexorable à moyen terme, qu’il soit assumé ou subi. Au minimum, il semble que les actifs des pays où la démographie reste favorable soient appelés à prendre une place croissante dans les portefeuilles des pays âgés. De quoi survivre pour affronter l’hiver démographique qui vient.
[1] Population & Sociétés 2025/3 n° 631


