Par Frédéric Lejoint.
Il existe des questionnements importants sur la trajectoire économique américaine pour 2026.

Didier Bouvignies (Directeur des gestions chez Rothschild & Co Asset Management) a récemment présenté ses perspectives économiques et financières pour 2026, en revenant tout d’abord sur les principales conséquences à tirer de l’exercice qui vient de s’écouler. « Au niveau américain, l’impact des droits de douane n’a clairement pas été aussi important que prévu, mais il faudra toutefois rester attentif car le pic ne sera pas atteint avant 2026 ». Le déficit américain a continué de progresser, ce qui a permis de financer la croissance de l’économie, de soutenir la hausse des marchés, et d’augmenter l’effet richesse dans la population.
Dans le même temps, les politiques monétaires restent très accommodantes un peu partout dans le monde, avec 315 baisses de taux annoncées au niveau mondial durant les deux dernières années. « Personne ne regarde plus aujourd’hui le niveau des déficits béants et des charges d’intérêts, le plus important pour de nombreux gouvernements étant de maintenir la croissance sur un niveau acceptable ».
Avantage crédit
Didier Bouvignies souligne que le crédit reste la classe à privilégier au niveau obligataire, et notamment le crédit de bonne qualité (Investment Grade) qui semble aujourd’hui souvent plus sûr. « Beaucoup de sociétés européennes émettent aujourd’hui de la dette à des taux inférieurs à celui de l’état français, dont l’endettement est actuellement sur une trajectoire insoutenable. ».
« Nous avons eu la bonne stratégie dans ce segment du marché obligataire. Nous avons lancé beaucoup de fonds à maturité fixe depuis l’invasion de l’Ukraine, pour profiter de la hausse du portage et nous mettre à l’abri d’une baisse des taux courts. Nous sommes devenus un des plus importants gestionnaires sur ce segment du marché au niveau européen, avec notamment notre fonds crédit Investment Grade vedette qui pèse près de 5 milliards d’euros ».
Sur les marchés boursiers, les résultats des entreprises ont continué de surprendre positivement au niveau américain. « Et contrairement à ce que les investisseurs pensent souvent, il n’y a pas que les Magnificent Seven qui réalisent de bonnes performances. Le niveau de croissance des bénéfices sur le S&P500 a tourné autour de 10% et de 6% pour la médiane ». Et les résultats du troisième n’ont pas modifié cette tendance, avec un taux de surprises positives de 84%, soit un niveau qui n’avait plus été observé depuis la fin du COVID.
Incertitude technologique
Didier Bouvignies constate que la concentration des indices doit constituer un point d’attention pour les investisseurs. « Certes, la technologie contribue beaucoup aux résultats globaux du marché américain, mais il y a des questions qui commencent à apparaître sur la capacité de ces groupes à rentabiliser des investissements gigantesques qui se montent aujourd’hui à 500 milliards de dollars (en comptant OpenAI) par an. Ces grands groupes américains ont acquis leur position en étant en situation de quasi-monopole sur certains segments du marché tout en ayant une base d’actifs très légère. Dans le domaine de l’IA, il est toutefois plus difficile de différencier ce que font les différents acteurs, avec le risque d’avoir une concurrence sur les prix à un moment ».
De même, il souligne que si NVidia dispose d’une position économiquement très impressionnante, de tels niveaux de marges sont difficiles à maintenir sur la longue durée. A l’heure actuelle, la plupart des groupes technologiques américains disposent de flux de trésorerie suffisamment élevés pour financer ces investissements, mais que la situation pourrait s’avérer dangereuse pour certains groupes qui sont en train de s’endetter pour pouvoir rester dans la course.
Problème français
Au niveau européen, Didier justifie l’écart de taux avec l’Allemagne. « La dette française se traite actuellement quatre notes en dessous du rating donné par les agences de notation. Les marchés ont largement anticipé la dégradation de la situation française, ce qui explique son manque de réaction lors des différentes dégradations ».
« En 2010, la France était considérée comme un pays du noyau dur européen. En 2024, la France a enregistré le plus gros déficit de la zone euro, avec un coût de refinancement de la dette qui est le plus élevé après la Slovaquie ». Si le gouvernement français n’est pas en mesure d’ajuster sa trajectoire budgétaire, la pression européenne pourrait augmenter pour imposer des mesures impopulaires à la France.
Double scénario
« A l’heure actuelle, le risque est toujours bien rémunéré, tant sur les actions que sur les obligations. Il convient toutefois de s’interroger sur la pérennité de cette hausse. Pour 2026, vous avez un scénario optimiste qui est actuellement ancré dans les attentes du marché, avec des gains de productivité qui permettent de limiter l’impact de l’inflation et de soutenir la dynamique de croissance, de baisser les taux courts aux Etats-Unis et de soutenir les marchés actions ». Ceci explique en grande partie la croissance des résultats de 13% attendus actuellement au niveau américain pour 2026.
Un autre scénario est celui d’un atterrissage brutal, avec des destructions d’emplois qui ne sont pas le reflet de gains de productivité mais d’une économie qui s'essouffle. « Environ 50% de la population américaine n'a plus de gains de pouvoir d’achat. Dans un tel environnement, les entreprises pour préserver les volumes de ventes devront concéder des baisses de prix ce qui pèsera sur les marges ». Il souligne qu’il existe quelques signaux pointant vers ce scénario qui commencent à apparaître. « Le nerf de la guerre, c’est que les marchés sont myopes et ne regardent que les bénéfices et les taux d’intérêt. Donc pour le moment, tout se passe bien car nous sommes dans le meilleur des mondes, avec un taux long à 4%, un taux réel de 2%. L’alerte, elle viendra soit d’un choc inflationniste qui semble toutefois , ou plus vraisemblablement d’une dégradation du marché de l’emploi et de la consommation ».


