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Où sont donc passés les droits de douane ?
Calendar19 Dec 2025
Thème: Investir

Enguerrand Artaz, Stratégiste, La Financière de l’Échiquier.


Source majeure de stress en début d’année, les droits de douane américains paraissent totalement sortis des préoccupations des marchés, qui caracolent en cette fin d’année à des niveaux records. A regarder l’économie mondiale dans son ensemble, le constat n’est guère différent. Les hypothèses les plus alarmistes ne sont pas matérialisées. L’inflation n’a pas flambé, la croissance n’a pas brusquement ralenti, le commerce mondial ne s’est pas effondré. Pour un peu, on pourrait croire que la hausse des taxes douanières américaines n’a jamais existé. Pourtant, si l’on observe les comptes du Trésor, cela ne fait pas de doute : avec plus de 200 milliards de dollars collectés entre avril et novembre 2025 contre environ 50 milliards sur la même période un an plus tôt, les revenus des droits de douane ont été multipliés par 4. Preuve incontestable qu’ils sont bel et bien en place. Mais alors, pourquoi paraissent-ils avoir si peu d’effet sur l’économie ?


Notons d’abord que le taux de taxe douanière effectif, qui s’élève à 11,5%, reste, à l’heure actuelle, inférieur au taux théorique si l’on prend en compte l’ensemble des annonces de l’administration Trump - autour de 16,5%. Au-delà des délais ou suspensions temporaires sur certains tarifs spécifiques, cela s’explique par le fait que beaucoup de biens menacés par des droits de douane élevés ont été, avant leur instauration, surstockés. Cela réduit jusqu’ici les besoins d’importations, ce qui abaisse donc mécaniquement le taux de taxe douanière, les produits les plus taxés pesant moins dans le total des importations. A mesure que les stocks constitués sont consommés, le taux effectif devrait continuer d’augmenter. Autrement dit, l’impact maximum de la hausse des droits de douane est à venir.


L’effet sur l’économie américaine a par ailleurs été limité par les ajustements de prix consentis par certains exportateurs. On note ainsi que les prix à l’importation des produits chinois ont baissé de 2,5% sur un an [1], tandis que certains constructeurs automobiles japonais ont initialement réagi en abaissant fortement leurs prix à destination des Etats-Unis. Plusieurs études démontrent également des baisses de prix dans le secteur de l’acier et de l’aluminium, touché par une hausse forte des droits de douane. Il semblerait toutefois que ce premier réflexe des exportateurs, soucieux de préserver leurs parts de marchés aux Etats-Unis, soit en train de s’inverser. Les indices de prix à l’importation des biens manufacturés en provenance de nombreux pays repartent nettement à la hausse depuis quelques mois et certaines entreprises, comme les constructeurs automobiles japonais Toyota et Subaru, ont récemment commencé à répercuter une partie du coût sur le consommateur américain.


En ce qui concerne les taxes douanières effectivement collectées, une partie semble bien avoir été passée au consommateur. En témoigne la remontée ces derniers mois des indices de prix sur les biens, qui étaient pourtant repartis sur une tendance légèrement déflationniste depuis leur pic de mi-2023. Le reste a vraisemblablement été absorbé par les entreprises américaines : d’une part dans les marges qui, hors secteur technologique, sont orientées légèrement à la baisse ; d’autre part, dans les dépenses, notamment d’emploi, avec un gel des embauches et de premiers ajustements à la baisse des effectifs.


Si les droits de douane américains ont été absorbés par différents pans de l’économie mondiale et en partie retardés, ils semblent toutefois destinés à peser un peu plus sur l’économie américaine dans les prochains mois, entre augmentation du taux effectif une fois les stocks consommés et remontée des prix des exportateurs. De plus, alors que le niveau des droits de douane est stabilisé, les entreprises, précautionneuses jusque-là, pourraient être tentées de passer davantage des hausses de coûts au consommateur. Si le sujet semble totalement sorti des préoccupations des investisseurs, il ne paraît pas inutile de garder un œil sur le sujet. A fortiori si la Cour suprême décidait, contre toute attente, de trancher en faveur de la Maison Blanche la question de la légalité des droits de douane réciproques.


[1] US Bureau of Labor Statistics