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L’histoire ne rampe pas
Calendar02 Mar 2021
Thème: Macro
Maison de fonds: DNCA Investments

« L'histoire ne rampe pas… Elle fait des sauts, d'un choc à un autre. Et pourtant nous aimons croire à la force de la prédictibilité, à la progression placide, incrémentale des évènements ».

Thomas planell
Thomas Planell

Difficile de ne pas se rappeler l'avertissement du statisticien Nassim Nicholas Taleb en constatant avec quelle violence le scénario d'une remontée graduelle et presque bienveillante des taux a été mis à mal cette semaine. Servant à présent 1,50%, le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans s'affranchit presque des prédictions les plus agressives pour 2021.

En l'espace de seulement deux mois, le Bund a retracé la moitié du chemin qui le séparait encore en janvier du niveau de 0% de rendement actuariel. Jeudi, en l'espace d'une séance les taux nominaux se sont tendus dans des proportions que l'on n'avait plus connues depuis 2009 : celui servi par le 5 ans américain se renchérissait de près de 25 points de base dans la journée tandis que les taux à 30 ans tutoyaient les 2,30%.

En France, le rendement de l'OAT revenait en territoire positif. Aussi prompts qu'ils l’aient été à intégrer la reprise économique, les marchés craignent déjà que la reflation et le risque de surchauffe contraignent les banques centrales à reculer dans la conduite de leurs politiques accommodantes. En effet, jusqu'à présent le rebond des taux nominaux était entretenu conjointement par les perspectives de reflation et de croissance. Mais cette semaine, au sentiment de confiance propice aux actifs risqués a succédé celui de la défiance.

Les taux nominaux se sont renchéris sans progression des anticipations d'inflation. Au contraire, la hausse des taux réels a été alimentée par la crainte d’un resserrement monétaire pouvant intervenir plus tôt que prévu. Historiquement, les sorties de politiques monétaires accommodantes ont des effets délétères sur les marchés actions, et plus particulièrement sur les actifs ayant le plus bénéficié du régime précédent de taux bas.

Dans ce contexte, les valeurs technologiques et de croissance subissaient les débouclages les plus importants, le Nasdaq cédant 3% quand l’indice Vix progressait de 30%. Si le prix des actifs financiers n'influe pas en théorie sur les décisions des banques centrales, les conditions de financement dictées par les taux longs leur importent au plus haut point.

Aux Etats-Unis, leur remontée précoce à ce stade balbutiant de la reprise peut éroder les effets du soutien monétaire et handicaper la croissance. En Europe, la BCE s’avoue inquiète et envisage déjà d’accélérer les volumes de son programme de rachats d’actifs. Malheureusement, la marge de manœuvre des argentiers centraux est plus réduite que jamais.

Leur capacité à influer sur la partie longue de la courbe des taux est limitée et l’effet incrémental des mesures accommodantes décroit avec la fréquence, voire l’automatisme de leur usage. Après avoir capitalisé sur les effets du soutien monétaire et budgétaire, la confirmation d’une croissance robuste devient donc essentielle pour les marchés.Surtout, quelle que soit la réalité économique des prochains trimestres, le plus dur reste à venir pour Jerome Powell et Christine Lagarde.

Que ce soit pour sortir du cercle vicieux de la surenchère monétaire ou afin de juguler la surchauffe, le courage exigera d’eux davantage que de « mettre leur fauteuil dans le sens de l’histoire », pour reprendre la célèbre formule d’Albert Camus.