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L'(im)possibilité d'une île
Calendar11 May 2021
Thème: Macro
Maison de fonds: DNCA Investments

Le célèbre proverbe chinois illustre la dualité du modèle de la Chine : un capitalisme d'état profondément ancré dans le léninisme, la doctrine singulière « d’une nation, deux systèmes" qui dompte, avec l'usage de la force si besoin les velléités émancipatrices de la péninsule hongkongaise.

Thomas planell
Thomas Planell
Il capture aussi l'essence de la realpolitik et de l’expansionnisme économique chinois : une diplomatie de l'excédent commercial basée sur l'intégration organisée de l'empire du milieu aux "contours" du reste du monde, ponctuellement tempérée par la menace d'un retour à "l'insularisation" d'un régime qui, comme il le rappelle dans son dernier plan quinquennal en mars, persévère depuis toujours dans la recherche de l'autosuffisance stratégique.

Dans son traité de l'Art de la Guerre, Sun Tzu emploie la métaphore de l'eau quand il instruit à ses pairs comment une armée doit s'inspirer de la dynamique des fluides en s'adaptant à ce qu'elle rencontre, évitant les élévations du terrain pour mieux les contourner, se fondre dans les dépressions plutôt que de se fracasser sur les points forts et visibles de l'adversaire. Aujourd'hui, face aux accusations d'espionnage industriel, de cyber-attaques, en réponse à la condamnation du traitement des Ouïghours ou de la répression du Front civil des droits de l'homme à Hong Kong, le fluide diplomatique chinois se replie, laissant, tel le flot d’une marée descendante, son lot de victimes prisonnières du sable desséché : le traité d'investissement entre la Chine et l'UE est devenu lettre morte, le dialogue économique avec l'Australie vient d'être suspendu, cette semaine, et cela pour une période indéterminée.

Mais la projection du pouvoir chinois s'exprime de façon plus dangereuse et vindicative ailleurs, là où la 7ème flotte américaine perd l'avantage du nombre : en mer de Chine méridionale et chaque jour un peu plus au-delà. Pour les Etats insulaires de la région, l'enjeu dépasse le simple retrait des pourparlers économiques : selon le Secrétaire d'Etat aux affaires intérieures, Mike Pezzullo, l'Australie devrait se tenir prête à "envoyer, une fois de plus, ses guerriers au combat", Manille s'exaspère des provocations de la marine chinoise aux abords des Îles Spraley, le Japon déploie pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale ses troupes de défense sur les îles Senkaku et les autorise à engager celles de la Chine en cas d'intrusion.

Enfin, Taïwan, le Graal de Xi, reste bien sûr l'épicentre des tensions : l'amiral américain Phil Davidson, commandant des 380.000 personnels de la force indopacifique prévenait en mars que la capitale mondiale des semi-conducteurs pourrait être envahie avant 2027. En l'absence d'un catalyseur évident, la baisse du marché de mardi a été temporairement attribuée à l'incursion d'appareils chinois dans la zone d'identification aérienne de l’eldorado des puces électroniques.

En réalité, les démonstrations de force de Pékin au large de Taïwan sont fréquentes. La plus mémorable d'entre elles date probablement de 1996, lorsqu'une salve de missiles fut mise en œuvre vers les eaux taïwanaises pour saper le premier suffrage démocratique de l’île récalcitrante. A l'époque cependant, il avait suffi à la toute puissante 7ème flotte américaine d'apparaître pour faire cesser toute manœuvre hostile de part et d'autre.

Aujourd'hui, la doctrine chinoise a changé. Le pays produit 100 avions de combat avancés par an et a jeté en mer méridionale cinq fois plus de bâtiments que la flotte pacifique américaine. Diminuée par cet aplomb militaire, l'aversion systématique pour le risque diplomatique laisse place à la stratégie de l'eau, les points faibles de l'occident sont exploités. Yang Jiechi a été nommé héros national pour avoir pointé du doigt à un sommet en Alaska les défaillances de la démocratie américaine, des universitaires, diplomates, avocats ou militants pro démocratiques européens, britanniques ou canadiens sont visés par des sanctions, les encouragements aux boycotts des marques étrangères se multiplient, le ministre des affaires étrangères renvoie l'occident à ses propres turpitudes passées (esclavage, Holocauste) ou présentes (émeutes) à chaque doléance du G7.

Toute provocation de la Chine gonfle à Washington les rangs des faucons, ces conseillers ou législateurs qui prônent une ligne politique dure à l’égard de Xi Jinping. La question chinoise unit les deux partis au Capitole : ils viennent de voter le « Strategic Competition Act » qui n’est rien d’autre qu’une contremesure visant à saper « l’influence malveillante du Parti communiste chinois sur la planète », et notamment à l’égard de Taïwan. L’île est au cœur de l’affrontement idéologique : la modernisation et la digitalisation du monde dépendent de ce petit territoire de 24 millions d’habitants à partir d’où le géant TMSC dirige 84% de la production mondiale des semiconducteurs les plus avancés. L’enjeu stratégique est tel que Gina Raimondo, la Secrétaire d’Etat au commerce vient de demander à l’île un accès prioritaire à sa production.

Comme souvent dans l’histoire, les îles, comptoirs commerciaux ou postes avancés sur les routes maritimes sont au cœur des enjeux géopolitiques. Heureusement, celle de Jersey où s’écharpent les marins pêcheurs français et britanniques sous l’œil vigilant de la marine n’abrite pas de ressource stratégique !