Par Ryan Hutchinson, gérant de portefeuille et analyste de la stratégie Lazard Digital Health, Lazard Asset Management.

Traditionnellement freiné par un environnement réglementaire intense et un état d’esprit intrinsèquement conservateur, le secteur de la santé est à la traîne en matière de progrès numériques par rapport aux domaines des communications, services financiers et produits de consommation, entre autres. Cependant, la situation évolue.

La promesse de la médecine numérique est de créer un système de santé plus démocratisé, plus personnalisé, plus axé sur la prévention et plus décentralisé. Il est à espérer que tout cela concourra non seulement à la longévité et la santé, mais également à une innovation de rupture qui engendre une opportunité d’investissement à long terme comparable à la révolution des semi-conducteurs.

Voici quelques domaines auxquels, selon nous, les investisseurs devraient prêter une attention particulière.

1. Le Big Data en santé

Les données alimentent les applications numériques, apprenant les algorithmes afin de pouvoir découvrir des modèles qui dépassent parfois l’entendement humain. La découverte de médicaments est l’un des domaines favorables à la révolution du Big Data (figure 3). Au lieu de procéder par tâtonnements laborieux pour trouver des composés qui protègent contre les maladies, ou les traitent, de manière sûre et efficace, la biologie computationnelle permet aux chercheurs de tester les gagnants potentiels de la même manière qu’un ingénieur aérospatial pourrait simuler un vol. Nous pensons que les conséquences pour les entreprises pharmaceutiques traditionnelles qui ne s’adaptent pas seront énormes.

Les données sur la santé deviennent également des produits de consommation, ce qui pourrait donner des résultats intéressants. Par exemple, Apple a lancé une étude visant à déterminer s’il était possible de détecter les arythmies cardiaques chez les porteurs de l’ Apple Watch et a rapidement inscrit des centaines de milliers d’utilisateurs.

2. Diagnostics avancés

Seulement 5 % des dépenses mondiales de santé sont dédiées chaque année à la prévention, le reste étant consacré aux traitements. Les développements en matière de diagnostics de nouvelle génération, d’examens non invasifs et d’interventions précoces, rendus possibles par les nouvelles technologies, entraîneront probablement une évolution spectaculaire vers les soins préventifs et le diagnostic précoce qui, à leur tour, conduiront à un traitement plus précoce et potentiellement moins invasif, voire non invasif.

Nous pensons qu’un changement de paradigme axé en priorité sur la prévention peut créer une opportunité de dépenses de plusieurs milliers de milliards de dollars pour les disrupteurs à l’échelle mondiale, y compris les start-up pharmaceutiques, les compagnies d’assurance et même les entreprises technologiques.

3. Thérapies ciblées

La médecine personnalisée, qui utilise les informations génétiques ou les biomarqueurs d’une personne pour éclairer les décisions en matière de santé et de traitement, devrait connaître une croissance fulgurante. Les applications de la médecine personnalisée consistent notamment à adapter les prescriptions médicales à certaines personnes et à permettre aux chercheurs de modifier directement l’ADN.

Nous avons également constaté des progrès récents au niveau des immunothérapies, comme la thérapie CAR-T, qui laisse entrevoir la possibilité d’un traitement, ou d’une « rémission durable », de la leucémie grâce à des récepteurs antigéniques chimériques. Un autre outil, baptisé CRISPR, permet aux chercheurs de modifier des fragments d’ADN et les fonctions des gènes, permettant potentiellement de corriger des défauts et de traiter des maladies telles que la drépanocytose.

Alors que les entreprises qui conçoivent ces thérapies ciblées et élaborent de nouvelles modalités de traitement occupent le devant de la scène, les découvertes dans des domaines tels que la manipulation des gènes, les produits biologiques, les thérapies cellulaires et les thérapies numériques sont bien placées pour modifier le paysage pharmaceutique. Selon nous, les essais cliniques devraient prendre en compte les données réelles et les différences génomiques entre les maladies et les populations. En outre, nous nous attendons à ce que le développement de portefeuilles de produits concernant les thérapies de nouvelle génération et les nouvelles modalités chimiques devienne plus difficile et complexe à mesure qu’ils arrivent à maturité, tout en étant plus efficace et fructueux. Cette situation devrait favoriser l’émergence de nouveaux champions industriels et permettre aux penseurs stratégiques d’élargir le terrain de jeu d’opportunités d’investissement uniques.

4. Amélioration du vieillissement

La plupart des modèles démographiques actuels prévoient un plafonnement de l’espérance de vie humaine. Cependant, nous pensons que les progrès de la biologie synthétique, de la médecine régénérative, des vaccins contre le cancer et de la manipulation des gènes, entre autres, permettront de prolonger la durée de vie et de rendre la population plus active et en meilleure santé. Même de légères hausses de la longévité, réparties sur les milliards de personnes dans le monde, représentent des centaines de millions d’années de vie supplémentaires et des centaines de millions d’années de consommation supplémentaires. Cette situation pourrait également engendrer une forte demande pour de grandes catégories de produits et services liés à la gestion des maladies chroniques et à la facilitation de modes de vie sains et plus actifs pour une population vieillissante.

Tirer parti de la disruption industrielle

L’innovation numérique intervient à la jonction des secteurs de la santé, de la technologie et de la consommation. Les facteurs qui étaient jadis considérés comme des barrières à l’entrée dans le secteur de la santé - taille, pouvoir de marché et coûts - sont moins imposants compte tenu de la numérisation et de l’accès à l’information. Ce nouvel environnement devrait uniformiser les règles du jeu pour les innovateurs, tout en incitant les acteurs établis à se réinventer.

En outre, les nouvelles opportunités ne manquent pas, étant donné que les investisseurs, notamment les investisseurs en capital-risque, continuent de financer la révolution numérique. En 2021, les sociétés de capital-risque ont levé un montant record de 57 milliards de dollars par le biais de près de 3 000 opérations en matière de santé numérique.

Nous pensons que pour être à l’avant-garde de ce qui pourrait être une mégatendance sur plusieurs années, il faudra délaisser une approche d’investissement traditionnelle en matière de santé au profit d’une démarche qui exploite l’expérience humaine, les données et la science des données pour sélectionner les meilleures opportunités dans l’ensemble des secteurs et des industries.

Bien que cette dynamique positive puisse connaître d’éventuels revers (échecs des essais cliniques, rythme variable des progrès, nouvelles réglementations, difficultés d’adoption par les consommateurs et problèmes de confidentialité), les innovations numériques dans le secteur de la santé vont continuer à progresser. Selon nous, au cours de la prochaine décennie, les opportunités et les avancées devraient profiter aux investisseurs comme aux patients.