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L’échappée américaine
Calendar20 Feb 2024
Thème: Macro

Alexis Bienvenu, Fund Manager, La Financière de l’Echiquier.

La vigueur des actions américaines a de quoi désarçonner : au 15 février, le S&P 500 progresse déjà de près de 6% (en dollars), après avoir déjà gagné 26% en 2023. Ce dynamisme frappe d’autant plus qu’il contraste avec la progression de 2% des actions européennes (Stoxx 600), après une avancée de 16% l’an dernier, déjà bien modeste par rapport à l’indice américain. Quant aux actions chinoises, la chute est ininterrompue depuis trois ans.

On pourrait y soupçonner l’effet d’une forme de bulle sur les grandes valeurs technologiques. Il est vrai que la progression de plus de 45% de l’action Nvidia sur les premières semaines de l’année y contribue pour beaucoup, surtout après son envol de 230% l’an passé !

Mais ce serait un mauvais procès. Car l’euphorie n’est pas seulement boursière : elle s’ancre dans les fondamentaux économiques. Ainsi la croissance américaine n’a-t-elle cessé de surprendre au cours de 2023 : attendue à 0,3% en début d’année, elle s’est finalement élevée à près de 2,5%, connaissant même un pic à près de 5%, en rythme annualisé, au troisième trimestre. Dans le même temps, la croissance de la zone euro est restée proche de 0,5%1, sans aucune surprise positive.

Ce ne sont pourtant pas les obstacles à la croissance américaine qui manquaient : resserrement monétaire, crise sur l’immobilier commercial et les banques régionales, blocages sur le plafond de la dette, tarissement de l’épargne des ménages, inflation...

Mais le recours accru des ménages à l’endettement – malgré des taux d’intérêt prohibitifs –, les largesses fiscales de l’Etat fédéral – au prix d’un déficit galopant – et des conditions de crédit certes plus difficiles mais toujours supportables, pour les grandes entreprises notamment, ont eu raison du ralentissement redouté.

Ce miracle américain – et son reflet inversé en Europe – est-t-il éphémère ? Ou va-t-il s’effriter ? On pourrait le craindre, tant l’euphorie autour de l’intelligence artificielle (IA) peut sembler excessive, comme le fut peut-être l’enthousiasme autour de la prétendue révolution industrielle créée par l’impression 3 D il y a peu.

Pourtant, il y a tout lieu de croire qu’il va perdurer à moyen terme, pour des raisons de fond. Tout d’abord, grâce aux énergies fossiles que les Etats-Unis extraient plus que jamais. Ensuite, pour des raisons plus pérennes, l’IA générative notamment. Les économistes du FMI2 l’estiment en effet capable de soutenir de forts gains de productivité. ​ De fait, ce n’est pas forcément un hasard, alors que les gains de productivité s’étaient amenuisés aux Etats-Unis après la crise de 2008, ils sont fortement repartis à la hausse en 2023. Ainsi, au cours des deux derniers trimestres 2023, la croissance de la productivité du secteur non agricole s’est-elle élevée à respectivement 5% et 3,2% en rythme annualisé (selon les données provisoires), des niveaux remarquables par rapport à la moyenne de 1,7% attestée depuis 2009.

Dans le même temps, la productivité européenne stagnait, voire reculait. Enfin, le miracle américain pourrait perdurer pour des raisons profondément enracinées de gouvernance économique : tailles d’entreprises importantes, allocation mobile du capital, encouragement à la concurrence, forte intégration du marché domestique, investissement public volontariste – autant de reflets inversés de l’Europe, comme l’a relevé Isabel Schnabel, membre du bureau exécutif de la BCE, dans un discours remarqué, à l’Institut Universitaire Européen le 16 février dernier3.

Si la perspective de long terme paraît donc prometteuse aux Etats-Unis, malgré d’indéniables fragilités tout aussi profondes – sociales, politiques et écologiques en particulier – l’euphorie actuelle des marchés pourrait donc bien être annonciatrice d’une dynamique durable, même si à court terme les marchés semblent, il est vrai, surachetés. Puisse l’Europe y trouver un modèle d’énergie économique qui lui convienne, pour rejoindre l’échappée.

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