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Pourquoi les États-Unis font-ils marche arrière en termes d’ESG ? - Lina Arrifi, Responsible Investment Strategist chez DPAM
Calendar18 Nov 2024
Thème: ESG
Maison de fonds: DPAM

Par Lina Arrifi, Responsible Investment Specialist chez DPAM

Ces dernières années, les investissements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) subissent un tir toujours plus nourri de critiques aux États-Unis. Cette évolution reflète des tensions politiques et sociales plus larges concernant la finance durable et la responsabilité des entreprises. Quels éléments induisent ce véritable retour de bâton ?

Déficit d’information : le manque de compréhension des tenants et des aboutissants de l’ESG par le grand public est un facteur décisif. Une enquête récente du Global Strategy Group révèle que seuls 22 % des Américains ont une bonne compréhension des principes ESG. Cette situation peut contribuer à expliquer l’efficacité des campagnes anti-ESG. Raisons économiques : pour les opposants à l’ESG, donner la priorité aux facteurs extra-financiers détourne l’entreprise de son objectif principal, à savoir la maximisation de la valeur actionnariale. Les détracteurs affirment que les initiatives ESG imposent des coûts supplémentaires aux entreprises. Cette charge affecte particulièrement les industries telles que les combustibles fossiles, où le désinvestissement axé sur l’ESG pourrait réduire les investissements et entraîner des coûts plus élevés.

Protectionnisme étatsunien : on craint également que les initiatives ESG ne nuisent à la compétitivité des États-Unis, ce qui alimente un narratif plus large en faveur du protectionnisme américain. Les critiques affirment que si les États-Unis excellent dans les secteurs énergétiques traditionnels, l’accent mis sur les énergies renouvelables (souvent importées de Chine) pourrait affaiblir la position économique du pays.

Raisons politiques et idéologiques : il existe un clivage net entre les lignes politiques. Les démocrates soutiennent généralement l’ESG, arguant que la durabilité à long terme est vitale pour la stabilité économique. En revanche, les républicains s’opposent généralement à l’ESG, invoquant l’excès de pouvoir du gouvernement et la considérant comme une forme de « capitalisme de façade » qui impose des valeurs libérales aux entreprises et sape la liberté des marchés. Ce clivage politique reflète des différences idéologiques plus larges entre les deux partis concernant le rôle des pouvoirs publics, de la réglementation et de la responsabilité des entreprises.

Reporter, retarder, procrastiner : ce retour de bâton est exacerbé par la tendance des dirigeants politiques ou des institutions à retarder toute action significative en faveur du climat. Souvent, cette volonté prend la forme d’un déplacement des responsabilités et se manifeste par des arguments selon lesquels les technologies futures résoudront le problème du changement climatique, ou que des études supplémentaires sont nécessaires avant de procéder à des changements significatifs. L'un des principaux débats concernant les investissements ESG réside dans la crainte que l’intégration d’éléments non financiers dans les décisions d’investissement ne conduise à une diminution de l’attention portée à la performance. Cependant, le concept de rendement ne peut être dissocié des risques inhérents à l’investissement. Pour évaluer les risques des investissements en actions, il est essentiel d’appréhender la relation entre une entreprise et ses parties prenantes. Les facteurs ESG clés tels que les modalités d'approvisionnement en matières premières d'une entreprise, ou de gestion des relations avec ses collaborateurs et collaboratrices, jouent un rôle direct dans la définition de son profil de risque.

L’importance des risques liés à l’ESG est encore soulignée par les informations obligatoires que les entreprises publiques doivent divulguer chaque année, où les risques environnementaux et sociaux sont souvent au nombre des principales préoccupations. Ces risques sont loin d’être hypothétiques. En effet, de mauvaises pratiques ESG peuvent avoir des effets tangibles et durables sur les flux de trésorerie et la réputation d’une entreprise. Selon une étude réalisée en 2019 par la Bank of America , les controverses liées aux facteurs ESG ont coûté aux entreprises du S&P 500 plus de 500 milliards de dollars entre 2014 et 2019.

Toute négligence des facteurs ESG s’apparente souvent à l’omission de risques critiques. Dans ce contexte, chaque dollar dépensé pour les externalités ou les litiges réduit les fonds disponibles pour le réinvestissement ou le rendement pour les investisseurs, et impacte in fine la création de valeur.

Ironie du sort s’il en est, les entreprises qui sont souvent examinées à la loupe pour leur impact environnemental et social sont souvent celles qui sont les mieux outillées pour mener à bien la transition vers un avenir plus durable. Les secteurs du pétrole et du gaz, des produits pharmaceutiques et des produits de consommation discrétionnaire, qui sont souvent au centre des débats sur l’ESG, ont tendance à être matures, riches en liquidités et très rentables. Leurs flux de trésorerie importants permettent non seulement de verser des dividendes élevés aux actionnaires, mais les positionnent également parfaitement pour mener à bien des transformations ESG percutantes.

À titre d’exemple, penchons-nous sur Graphic Packaging, un acteur majeur du conditionnement à base de papier. En consentant des investissements massifs dans des solutions d’emballage recyclées, elle a permis aux entreprises du secteur alimentaire et des boissons de se détourner du plastique. Cette approche a stimulé la croissance de l’entreprise par rapport à ses pairs tout en garantissant des rendements réguliers aux actionnaires.

Fort heureusement, alors que la couverture médiatique américaine met souvent l’accent sur l’opposition politique à l’ESG, l’engagement en faveur des investissements responsables reste fort, même au Pays de l’Oncle Sam. De nombreuses entreprises et organisations continuent d’adhérer aux Principes pour l’investissement responsable. Ces derniers continuent d’ailleurs d’attirer de nouveaux signataires. Il convient de souligner que pour les signataires américains, le changement climatique et la diversité, l’équité et l’inclusion constituent des priorités ESG essentielles. Et même s’ils publient moins d’informations sur l’investissement responsable que les signataires européens, océaniens et asiatiques, ils affichent des progrès réguliers. Par exemple, le pourcentage de signataires nord-américains identifiant des résultats en matière de durabilité est passé de 58 % en 2021 à 71 % en 2023.

Il est vrai que les questions ESG sont très politisées aux États-Unis, et s’alignent souvent sur les changements d’administration entre démocrates et républicains. Ce mouvement de bascule crée une incertitude quant au paysage réglementaire à long terme en matière d’ESG et au calendrier de mise en œuvre des politiques. Cependant, les opportunités économiques et l’accès à un financement à moindre coût devraient continuer à motiver l’engagement des entreprises en matière d’ESG. Effectivement, les projets durables bénéficient souvent d’incitations telles que des obligations vertes, des conditions de financement favorables et des subventions publiques, autant d’éléments qui motivent davantage les entreprises à poursuivre des initiatives liées à l’ESG. De surcroît, la demande croissante des consommateurs et des investisseurs internationaux pour des produits et services durables exerce une pression supplémentaire sur les entreprises pour qu’elles améliorent leurs performances ESG. En tant qu’acteur économique mondial majeur, les États-Unis joueront un rôle central dans la transition vers un monde plus durable. Leur vaste marché de consommation, leurs capacités d’innovation et leur centralité économique en font un moteur essentiel de la transition vers un monde plus durable. S’il est vrai que les changements politiques entre les administrations républicaines et démocrates peuvent ralentir cette transition, il n’en reste pas moins qu’il est peu probable qu’ils l’arrêtent complètement.