
Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.
Les investisseurs chevronnés ont coutume de dire que deux choses influencent les marchés actions sur longue période : les taux et les bénéfices par action, le reste n'étant que du bruit de court terme. La saison des publications semestrielles touchant à sa fin sans accident majeur (mais affichant un large écart de croissance en faveur des sociétés américaines), les yeux se tournent désormais vers la Réserve fédérale et son président Jerome Powell.
Celui-ci a fait preuve d'une résilience hors norme face aux charges répétées de Donald Trump sur les réseaux et même à une visite impromptue dans le bâtiment en travaux de l’institution. C’est finalement le rapport sur l’emploi du mois de juillet qui a changé la donne. Ce rapport, qui a coûté son poste à la responsable du BLS*, a montré encore une fois la difficulté pour la banque centrale à évaluer l'état de l'économie américaine : au-delà des créations d’emplois pour le mois de juillet (+ 73k), les deux mois précédents se sont soldés par une révision négative de 258k. Cet ajustement (inédit hors récession comme en 1990, 2001 et 2008) ramène la moyenne mobile des trois derniers mois à un niveau de création de +35k, contre +150k avant la publication du rapport !
À la suite de cette révision d’ampleur, le Secrétaire d’État au Trésor Scott Bessent a indiqué que la Fed devrait envisager une baisse de 50bp en septembre. Mais c'est Christopher Waller (dissident avec Bowman lors du dernier FOMC et prétendant au poste de président de la Fed) qui a été le plus explicite, en annonçant son intention de voter en faveur d’une baisse de 25bp le mois prochain et anticipant d’autres assouplissements, pour court-circuiter l’affaiblissement du marché du travail.
Face à cette dégradation soudaine et la publication d’un CPI** en ligne avec les attentes pour le mois de juillet (+0,2% m/m), les marchés ont rapidement ajusté leurs anticipations et une baisse des taux directeurs de 25bp en septembre semble largement acquise (probabilité implicite de 85%), après 9 mois de pause.
Le discours à tonalité dovish de Jerome « Too late » Powell lors du traditionnel symposium de Jackson Hole dans le Wyoming n’a fait que confirmer le sentiment des investisseurs, qui anticipent que l'institution monétaire américaine se joigne aux 88 banques centrales ayant baissé leurs taux cette année. En effet, Jay Powell a acté que la balance des risques a évolué, avec un potentiel baissier de l’emploi et en même temps le caractère probablement transitoire des tarifs douaniers sur l’inflation américaine.
Cette potentielle inflexion de la politique monétaire américaine est cruciale pour l’administration actuelle qui fait face au mur de la dette d'État, post OBBB***. La durée moyenne de celle-ci est de cinq ans et nécessite un taux d'environ 3% (vs 3,7% au moment de la rédaction de ces lignes) pour stabiliser le coût du service de la dette, au niveau actuel de 1,2 trillion de dollars. Plus généralement pour les investisseurs, le pivot de la Fed a historiquement été un bon moment pour reprendre du risque de duration au sein des portefeuilles obligataires.
Le constat est plus nuancé pour les actions américaines : le S&P 500 consolide lors des six mois succédant à la reprise des baisses de taux directeurs et il faut attendre douze mois pour profiter d’une hausse de l’ordre de 15% en moyenne. Force est de constater que les investisseurs en actions semblent avoir préempté cette hausse et déclaré forfait avant même la confrontation avec la Fed, si l'on en croit le dernier rapport Bank of America sur leur positionnement : le sentiment bull se reflète dans une anticipation de récession au plus bas depuis le début de l'année (à 5% grâce au reflux du risque tarifaire), une allocation monétaire proche de sa borne basse et une allocation action qui remonte sensiblement.
Ce sentiment permet le retour en fanfare des introductions en Bourse aux Etats-Unis et porte la valorisation de l’indice américain des 500 plus grandes capitalisations à un niveau historiquement élevé, avec un ratio de cours/bénéfices de 23x à horizon 12 mois et un ratio cours/ventes de 3x. En cette période de rentrée, il semble donc que l'adage boursier « don’t fight the Fed » soit plus que jamais d’actualité…
*Bureau of Labor Statistics
**Consumer Price Index
*** One Big Beautiful Bill