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Taco et terre rare (2eme partie)
Calendar31 Oct 2025
Thème: Investir
Maison de fonds: DNCA Investments

Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.


On prend les mêmes et on recommence ! Alors que les marchés actions avaient totalement effacé les pertes liées au Liberation Day et que les investisseurs focalisaient leur attention sur le ralentissement du marché de l'emploi américain, le risque tarifaire revient sur le devant de la scène avec la volatilité associée. Dans les faits, c'est la Chine qui a remis la pression en amont de la rencontre entre les dirigeants des deux superpuissances, avec son arme fatale que sont les terres rares.


Pour rappel, la Chine contrôle 70% des mines de terres rares, mais surtout 90% du raffinage (dont le processus est hautement polluant) et 90% de la production d'aimants permanents qui rentrent dans de nombreuses applications industrielles critiques (technologie, énergie et défense). Selon l'annonce du gouvernement chinois, tout utilisateur de terres rares chinoises va devoir demander à partir du 1er décembre une autorisation pour toute commercialisation de produits finis.


En théorie une puce d’IA américaine fabriquée aux États-Unis et à destination d'un client de même nationalité et utilisant des terres rares chinoises nécessiterait donc l'aval de Pékin pour son utilisation. En résumé, une version chinoise du US Foreign direct product rules.


Sans surprise, cette annonce a provoqué l'ire du locataire de la Maison Blanche qui en réaction a promis la foudre tarifaire à l'Empire du Milieu en cas d'implémentation, avec des droits de douane additionnels de 100% pour tous les produits chinois importés aux États-Unis et en prime l'annulation de la rencontre tant attendue en marge du sommet de l'Apec* le 31 octobre en Corée du Sud.


Cette passe d'armes entre les deux dirigeants n'est pas sans rappeler la situation d'avril dernier quand Donald Trump avait menacé la Chine de droits de douane de 100%. Les tensions étaient finalement retombées grâce à la trêve conclue en mai et reconduite en août. Mais les tarifs douaniers effectifs (30% pour la Chine et 40% pour les États-Unis) ont déjà eu les effets escomptés : les échanges bilatéraux entre les deux nations se sont ajustés à la baisse de manière beaucoup plus rapide que lors du premier mandat du leader républicain.


Quelques jours après cette menace proférée par le locataire de la Maison Blanche, celui-ci changea radicalement de ton en déclarant que « les États-Unis souhaitent aider la Chine, et pas lui faire du mal ». Une reculade qui a immédiatement été interprétée par les investisseurs comme un énième TACO trade** et qui a mécaniquement fait rebondir les marchés actions.


Mais l’administration américaine aimant souffler le chaud et le froid, le Secrétaire au Trésor américain s'est ensuite fendu d'un entretien dans le Financial Times au cours duquel il a expliqué que les initiatives chinoises sont le reflet des difficultés économiques domestiques. Cela ne décourage pas les opérateurs de marché, si l'on en croit le site de Paris en ligne Polymarket qui assigne une probabilité de 92% au maintien de la rencontre entre les deux dirigeants.


Mais au-delà de la rhétorique, les États-Unis ont déjà pris acte de leur faiblesse stratégique et ont en réaction lancé des contre-mesures industrielles. À titre d'exemple on pourra citer l'accord stratégique signé tout récemment avec l'Australie pour le développement de 8.5 milliards de dollars de projets de métaux critiques ou encore la volonté de la société minière Teck Resources de devenir l’acteur de référence sur le germanium et le gallium (indispensables à l’industrie de la défense) en Amérique du Nord. Cette situation fait évidemment les affaires des acteurs locaux comme Lynas ou MP Materials dont les cours de bourse ont été multipliés par trois cette année.


La posture des deux protagonistes ressemble sans surprise à une stratégie de renforcement de position en amont des négociations à venir. Il est de plus en plus évident qu’à court terme, aucune des deux parties n’a d’avantage absolu sur l’autre, ce qui devrait mener à la recherche du plus petit dénominateur commun, comme nous l’enseignent les manuels de négociation. Mais à plus long terme, il semble que les deux pays soient sur une trajectoire de découplage financier et technologique qui aura des effets de bord sur le reste du monde et que les investisseurs devront intégrer dans leur grille d'analyse …


* Asia-Pacific Economic Cooperation ;

** Théorisé par Robert Armstrong, ce concept s’appuie sur une dynamique psychologique : le Président menace, la confiance chute, puis le retrait des menaces rassure les marchés.