Par Frédéric Lejoint.
La technologie américaine et la défense européenne constituent les principales sources de croissance séculaire pour les prochaines années.
« La croissance américaine est devenue très dépendante des investissements réalisés dans la technologie. En retirant la technologie des chiffres de croissance, la croissance des Etats-Unis ressort ainsi très nettement en-dessous du potentiel ». Laurent Denize (Responsable des investissements chez ODDO BHF Asset Management) souligne également la position inconfortable de la Réserve Fédérale, qui va devoir naviguer entre des politiques fiscales et monétaires accommodantes et un marché du travail maintenu à l’équilibre par le retour à la frontière de 3 millions de migrants. « Il y a un vrai ralentissement du marché du travail avec des sociétés technologiques qui ont commencé à licencier du personnel, mais la politique migratoire devrait permettre de ralentir fortement la hausse du chômage ».

Cependant, les licenciements et le renvoi de nombreux immigrés risque d’avoir un impact sensible sur la consommation domestique (qui a historiquement représenté 2/3 de la croissance américaine), et ce d’autant que le taux d’épargne est retombé sur des niveaux bas par rapport aux 15 dernières années. « Les indicateurs avancés (confiance de ménages, etc) semblent aujourd’hui indiquer un certain essoufflement de la consommation durant les prochains mois, notamment en raison de la hausse des prix de l’énergie ».
Domination américaine
Pour autant, dans une allocation d’actifs, il est difficile d’ignorer le marché américain. « Parmi les trente plus grandes capitalisations mondiales, pas moins de 24 proviennent des Etats-Unis. Si nous sommes aujourd’hui assez prudents sur le marché américain dans son ensemble, nous pensons que le secteur technologique et les développements autour de l’IA restent à privilégier. La valorisation est élevée, mais se justifie par une croissance satisfaisante des résultats et des marges résilientes en dépit de l’impact des tarifs douaniers ».
« Tant que des sociétés comme Nvidia seront en mesure d’afficher des croissances significatives de leurs résultats et des marges élevées, la valorisation de ces sociétés demeure un critère bien secondaire pour beaucoup d’investisseurs ». Laurent Denize estime toutefois que la croissance des résultats pourrait devenir plus équilibrée en 2026, à mesure que l’augmentation de la productivité par l’IA va se diffuser dans l’économie.
Investissements européens
De son côté, l’Europe va bénéficier des divers plans qui vont être mis en place durant les prochaines années, notamment au niveau allemand. « À moyen terme, il y a aussi la volonté de l'UE de diriger l’épargne vers des investissements productifs qui pourraient permettre à l'Europe d'avoir un surcroît de croissance financé par ses citoyens. Et nous avons vraiment besoin de ce relai de croissance vu la dégringolade des attentes bénéficiaires depuis le début de l’année ». Il s’attend également à ce que la BCE devienne encore plus accommodante, que ce soit en baissant son taux directeur ou en achetant des obligations pour éviter une explosion des déficits publics. « Avec une inflation qui a reflué, on observe des taux réels désormais trop élevés pour un contexte de croissance faible ».
Il estime que les moyennes capitalisations allemandes doivent être privilégiées, notamment en raison de l’exposition directe sur les dépenses d’investissements qui vont être déployées durant les prochaines années, et notamment les acteurs du secteur de la défense qui vont connaître une accélération significative de leurs résultats. « Augmenter les dépenses militaires de 2 à 3% du PIB européen va représenter 200 milliards d’euros par an, ce qui va entraîner une croissance des résultats qui justifie largement la valorisation de ces sociétés ».
Il apprécie également les valeurs financières, qui vont bénéficier d’un environnement favorable au niveau de la BCE et qui sont aujourd’hui en mesure de déployer sereinement des capitaux dans le cadre des programmes de relance. « En outre, la valorisation du secteur reste encore largement attractive en dépit de la performance depuis le début de l’année ».
Attraits émergents
Enfin, Laurent Denize met également en avant le rebond du marché chinois depuis le début de l’année. « Depuis le COVID, de nombreux jeunes se sont retrouvés dans des situations financières difficiles, ce qui a entraîné un effondrement de la natalité. Pour les aider les entreprises, les autorités chinoises ont mis en place une politique plus favorable sur les marchés de capitaux, avec des rachats par les autorités dès que les cours baissent ». Dans le même temps, les bénéfices ont eu tendance à augmenter depuis le début 2025.
« A l’heure actuelle, il faut vraiment commencer à faire une rotation des investissements des pays développés vers les marchés émergents, et plus particulièrement vers l’Asie du Sud-Est ». De leur côté, les Etats-Unis entendent conserver leur influence sur l’Amérique latine, ce qui rend cette région intéressante avec une probabilité de défaut qui est en train de se réduire fortement, « ce qui explique que nous privilégions la dette locale émergente sur notre exposition obligataire ».
Pas trop négatif
En conclusion, nous ne voulons pas être trop agressifs dans un marché proche de ses sommets, avec un positionnement sur des durations courtes au niveau obligataire compensé par des positions sur l’IA et la défense dans une optique de croissance à long terme. « Il faut faire évoluer notre appréciation du risque. Si une société est chère, c’est peut-être qu’il y a de bonnes raisons et que la valorisation va rester soutenue durant les prochaines années ».
« A court terme, nous restons également favorables à l’euro face à dollar, et privilégions des actifs alternatifs pour obtenir une meilleure résistance du portefeuille dans les conditions de marché actuelles. L’or dispose encore d’une marge de progression, avec des banques centrales émergentes qui vont continuer à faire des achats massifs ». Et à moyen terme, les politiques fiscales et monétaires laxistes vont alimenter la liquidité sur les marchés, et « il ne faut donc pas être trop négatif sur les marchés financiers en l’absence de signaux pessimistes plus marqués ».


