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L’inflation va-t-elle faire son retour sous peu?
Calendar11 Feb 2021
Thème: Macro
Maison de fonds: Ethenea

Par Volker Schmidt, Senior Portfolio Manager chez Ethenea

Volkerschmidt
Volker Schmidt
Les médias ne cessent de nous avertir du retour imminent de l’inflation, réveillant ainsi, encore aujourd'hui, les sombres souvenirs de l’hyperinflation des années 20 en Allemagne. Néanmoins, les craintes d'inflation en général, ou même celles d'hyperinflation, sont-elles réellement justifiées?

À l'observation du sentiment de marché, nous voyons que les investisseurs anticipent pour le moins une hausse de l’inflation. Récemment, les anticipations d'inflation du marché, représentées par le swap d’inflation à 5 ans (qui correspond aux anticipations moyennes d'inflation sur 5 ans dans 5 ans), a atteint un plus haut sur deux ans, tout comme les points morts d’inflation à 10 ans.

Il est vrai qu’une forte poussée des taux d'inflation aurait des conséquences dramatiques. Les bons du Trésor américain et près d'un tiers des obligations Investment Grade libellées en USD présentent déjà un rendement négatif déduction faite du taux d'inflation. Autrement dit, une part importante des entreprises est rémunérée en échange de la détention de sa dette. Mais en même temps, les investisseurs s’exposent aussi à un plus grand risque. En effet, si l’inflation venait à reprendre, les rendements remonteraient à leur tour sur le long terme. Une telle évolution serait fatale aux détenteurs d’obligations, car les titres assortis de rendements faibles seraient alors voués à une forte dépréciation. Les banques centrales s’emploient actuellement à éviter cette issue à l’aide d’une politique monétaire expansionniste, mais quelques voix commencent à s'élever pour remettre en question l’efficacité de ces mesures.

Les mesures de relance exceptionnelles pourraient stimuler l’inflation à court terme

Dans l’immédiat, plusieurs facteurs semblent effectivement présager une accélération des prix à la consommation, et ce principalement à cause d’une série d’effets techniques.

  • En mars et avril de l’année dernière, les cours pétroliers se sont repliés jusqu’à des planchers encore jamais atteints. Depuis, le prix du baril s’est redressé, mais étant donné que le taux d'inflation s’exprime par l'évolution en pourcentage du niveau des prix sur un an, d'un point de vue purement arithmétique, cet « effet de base » devrait engendrer une nette poussée d'inflation. Même en retirant les cours pétroliers du calcul pour se concentrer sur l’inflation sous-jacente, ce phénomène pourrait quand même atteindre le consommateur indirectement, par le biais de la hausse des prix à la production.
  • De nombreux pays (notamment l’Allemagne) ont réduit leurs taux de TVA vers le milieu de l’année dernière afin de stimuler la consommation, ce qui semble avoir eu au moins des effets partiels sur le consommateur final. Si ce geste a tempéré l'élan des prix à l’époque, le retour aux précédents niveaux de TVA au début de cette année devrait désormais leur fournir une nouvelle impulsion.
  • Depuis ce début d’année, dans le cadre de la nouvelle taxe carbone allemande, 25 euros sont prélevés aux fabricants et fournisseurs de biens et de services par tonne de dioxyde de carbone émis par la combustion de diesel, d’essence, de fioul et de gaz naturel. Si ces coûts supplémentaires sont répercutés sur les acheteurs, les biens et services qui polluent deviendront plus chers, et l’inflation progressera.
  • En Allemagne, le relèvement progressif du salaire minimum légal de 9,35 euros à 9,50 euros de l’heure, puis à 9,60 euros en juillet 2021, pourrait également donner lieu à une hausse de l’inflation à court terme.

    Les signes de bulle spéculative s’accumulent

    D’autre part, l’application de politiques monétaires et budgétaires expansionnistes crée de l’inflation supplémentaire. Rien qu’aux États-Unis, la masse monétaire s’est accrue de 25 % entre mars et novembre 2020.

    S’ajoutent à cela des mesures de politique budgétaire absolument sans précédent. À la fin de l’année dernière, le Congrès américain avait déjà voté un plan d’aide de 900 milliards USD, auquel le nouveau Président Joe Biden vient d’adjoindre 1 900 milliards USD de mesures supplémentaires. Celles-ci devraient notamment affecter une aide financière directe à hauteur de 2 000 dollars à des millions de citoyens américains (contre 600 dollars prévus jusqu’alors).

    Ces dépenses publiques sont considérables et bénéficient du soutien offert par les injections massives de liquidités des banques centrales ; pourtant, jusqu'à présent, l’inflation n’a vraiment pas progressé. Cela s’explique par une des plus anciennes théories des sciences économiques. En vertu de celle-ci, l’inflation ne dépend pas seulement de la masse monétaire, mais aussi de sa vitesse de circulation, autrement dit de la fréquence d’utilisation d'une monnaie pour acheter des biens et des services. Si la masse monétaire croît alors que la vitesse de circulation de l’argent reste constante, ou qu’elle diminue, cela signifie que les gens épargnent ou investissent leur revenu au lieu de le dépenser. La conséquence est qu’à la place d'une augmentation des prix à la consommation, qui est le but poursuivi par les mesures de relance, on assiste à une hausse de la valeur des actifs financiers, comme c’est le cas en ce moment : actions, obligations et biens immobiliers continuent d’atteindre de nouveaux sommets malgré l’incertitude toujours élevée du marché.

    La quête d’opportunités de placement rémunératrices a pris des proportions inédites, et se reflète aussi bien dans la plus grande tolérance au risque des investisseurs (le bitcoin, Tesla et GameStop affichent tous une progression fulgurante cette année) que dans l’inventivité croissante de Wall Street. Ainsi, les créations de « Special-Purpose Acquisition Companies », ou Spacs, ont littéralement explosé l’an passé. Cet acronyme désigne des structures vides, destinées à être introduites en Bourse en vue de procéder ensuite au rachat d'une autre entreprise.

    Dans les phases d’effervescence des marchés, ces véhicules bénéficient d’un important gain de temps en évitant les traditionnels événements de présentation et roadshows des introductions en Bourse, et peuvent profiter de conditions attractives. Toutefois, les Spacs présentent des risques élevés, en particulier pour les investisseurs privés, de telle sorte que leur succès dépend entièrement des talents de sélection des équipes de gestion de ces véhicules. Naturellement, celles-ci ne divulguent pas à l’avance quelle sera la cible de leur rachat. D’après une étude du Wall Street Journal, la valeur des Spacs perd en moyenne 12 % après leur fusion.

    Les tendances structurelles restent inchangées

    Au total, l’inflation n’a pas progressé en 2020, bien au contraire. Outre la vitesse de circulation toujours faible de l’argent, que nous venons de décrire, ce phénomène tient à plusieurs tendances structurelles à l’œuvre depuis quelques années et appelées à générer des pressions déflationnistes dans un avenir proche.

    Outre la réticence ou l’incapacité des consommateurs à dépenser, la faiblesse actuelle des taux d'inflation s’explique par une série de facteurs structurels. D'une manière générale, l’effondrement économique lié à la pandémie de coronavirus a entraîné un arrêt généralisé à court terme à l’activité. En parallèle, cette interruption a brisé des schémas devenus sclérosés et engendré, au moins en partie, un changement structurel. La digitalisation s’est développée, de telle sorte qu’un plus grand nombre de personnes sont en mesure de travailler de manière flexible depuis leur domicile. Un changement qui réduit relativement l’attractivité des grandes villes, où les prix sont élevés, et entraîne un ralentissement de la hausse des loyers. Étant donné que les loyers représentent une part considérable de l’indice des prix à la consommation et que l'on peut se demander si, et dans quelle mesure, leur croissance pourra renouer avec les niveaux précédents, nous n’anticipons pas d’accélération significative de l’inflation tant que la hausse des loyers n’aura pas rebondi.

    De plus, la tendance de l’inflation est influencée depuis plusieurs dizaines d’années par les changements démographiques. L’exemple parfait est celui du Japon, confronté depuis des années à la baisse des taux de natalité et au vieillissement de sa population. Celui-ci se traduit par une diminution de la proportion des personnes en âge de travailler par rapport aux retraités. Le problème est que la population en âge de travailler est déterminante pour la croissance du produit intérieur brut. Si sa part dans la population se réduit, le produit intérieur brut se contracte, tout comme la demande globale. Les entreprises, pour maintenir leurs ventes, doivent abaisser leurs coûts et réduire les salaires, ce qui a un impact déflationniste.

    Quelles sont les conséquences pour les investisseurs ?

    Il se peut donc que d'importantes tensions inflationnistes apparaissent dans les prochains mois. Une hausse à court terme de 3 % des prix à la consommation nous paraît tout à fait envisageable, du moins aux États-Unis. Pour l’instant, les comportements de consommation sont encore contenus, mais avec le contrôle de la pandémie de coronavirus qui devrait advenir dans le courant de l’année, des effets de rattrapage pourraient engendrer des tensions sur les prix sous l’influence de la demande. Les prix dans les secteurs des transports et du tourisme demeurent particulièrement inférieurs aux niveaux des années précédentes. À cela s’ajoutent les effets techniques liés aux cours pétroliers, que nous avons évoqués ci-dessus. En Europe, à l’inverse, l’inflation devrait afficher une progression beaucoup plus modérée. L’appréciation de l’euro contre le dollar rendra les importations moins chères et pèsera donc sur l’inflation dans la zone euro.

    Par conséquent, il n’y a pas lieu de paniquer pour l’instant. D’une part, dans le cadre de sa stratégie de ciblage flexible d’un taux d’inflation moyen, le but explicitement recherché par la Réserve fédérale est un dépassement à court terme de l’objectif d'inflation, et ses taux ne seront pas relevés avant 2023. De plus, les banques centrales achètent de grandes quantités d’emprunts d'État, ce qui maintiendra les taux à des niveaux globalement faibles au cours des prochaines années, indépendamment des anticipations d'inflation. Et enfin, l'économie met du temps à se remettre de la crise du coronavirus, tandis que de puissantes tendances déflationnistes, comme la digitalisation et le vieillissement de la population, demeurent et ne feront probablement que se renforcer durant les années à venir.