Navbar logo new
Résultats trimestriels : un phare dans le brouillard
Calendar12 Dec 2025
Thème: Investir
Maison de fonds: DNCA Investments

Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.


La situation est inédite : à l'initiative des droits de douane du Président américain est venu s'ajouter le plus long shutdown de l'administration fédérale (43 jours). Résultat : les différentes agences statistiques commencent à peine à publier les indicateurs du mois de septembre et ceux d'octobre, notamment le rapport sur l’emploi, passeront purement et simplement à la trappe. En attendant de pouvoir analyser les données de novembre et de décembre, les investisseurs se tournent donc naturellement vers les sociétés pour sortir du brouillard macroéconomique et appréhender au mieux la situation actuelle et ses grands agrégats : consommation, dépenses d'investissement et emploi.


Les chiffres trimestriels agrégés tranchent nettement avec l'ambiance anxiogène générale. En effet, la saison de publication américaine est indéniablement bonne si l’on en croit le pourcentage de surprises positives au niveau des bénéfices par action (80 % vs 75 % en moyenne). Mais contrairement aux trimestres précédents, les attentes du consensus n'ont pas été révisées en amont, ce qui rend la qualité des publications encore plus remarquable : +14 % au troisième trimestre (vs. T3 2024), soit environ le double des prévisions. Avec de tels résultats, les publications européennes ne peuvent que difficilement tenir la comparaison. Et même si les surprises sont de moindre ampleur (55 %, en ligne avec la moyenne), le fait d'avoir des BPA agrégés en croissance sur le trimestre est déjà une satisfaction (+1 %).


L'analyse granulaire des chiffres par secteur permet de sortir de la narration : les secteurs technologie et télécommunications ont tiré à la hausse la croissance des BPA aux États-Unis ce trimestre, grâce aux bonnes performances de Nvidia , Microsoft et Alphabet . Mais, si elles ont été moins médiatisées, les publications des financières sont encore meilleures avec une croissance de 25 % sur la même période. Plus généralement l'écart de croissance entre les Mag7 et le reste du marché américain a eu tendance à se réduire (23 % vs. 12 %), preuve d’un début de normalisation du taux de croissance des megacaps américaines.


En Europe la tendance est identique, les banques faisant la course en tête grâce à une combinaison de meilleurs revenus, de coûts maîtrisés et de provisions faibles. La technologie et l'immobilier font également partie du club très restreint des secteurs en croissance sur le trimestre. Tous les autres sont des contributeurs négatifs, avec notamment la consommation discrétionnaire en chute libre sur la période (-50 %). Dans ces conditions, on comprend aisément pourquoi le secteur bancaire européen fait mieux que le marché cette année.


Avec un marché du travail proche de « la vitesse de calage » pour reprendre l'expression du banquier central américain Christopher Waller, la saison de publication a également été l'occasion pour les investisseurs de prendre le pouls du consommateur américain. Plusieurs sociétés signalent une demande plus faible dans les catégories comme les voyages, l'automobile et la restauration. En même temps, Walmart et Starbucks indiquent des tendances stables ou en amélioration, ce qui suggère des prises de parts de marché par les acteurs disposant d'une certaine envergure et surtout un marché à deux vitesses. C’est l’illustration microéconomique de la croissance en K* du consommateur américain.


Les communiqués et conférences téléphoniques ont été l'occasion pour les directions de revenir sur le thème transversal de l'IA qui, avec le retour aux actionnaires et l'évolution des marges est un des sujets majeurs de la saison. La presse s'est beaucoup fait le relais des annonces de dépenses d'investissement des hyperscalers, mais l'analyse des transcrits montre au niveau agrégé une anticipation des gains opérationnels (notamment pour les secteurs énergétiques et de la consommation discrétionnaire) et une amélioration de la demande finale pour les industriels qui sont les « pelles et les pioches » de cette nouvelle révolution. Enfin, il est à noter que la réduction d’effectifs arrive bon dernier des thèmes abordés, à rebours des gros titres des journaux.


Le tour d'horizon ne serait pas complet sans aborder la réaction des actions aux beat and misses. Et c'est justement cet aspect qui permet de rééquilibrer la situation entre l'Europe et les États-Unis. En effet, si le comportement des valeurs européennes a été relativement équilibré en termes de performances entre les bons et les mauvais élèves, les réactions aux États-Unis ont été largement biaisées à la baisse. Les sociétés qui ont publié au-dessus des attentes ont patiné alors que les autres ont été sévèrement sanctionnées. C’est un rappel brutal aux investisseurs que les multiples de valorisation du marché américain** laissent peu de marge en cas de déception.


La saison de publication étant désormais derrière nous, il est raisonnable de considérer que celle-ci est dans les cours et les investisseurs vont naturellement basculer vers les perspectives 2026. A ce titre, les anticipations du consensus pour l’année prochaine sont assez proches pour les deux zones***. En revanche, la décomposition de la croissance à venir montre une plus grande diversité des contributeurs côté européen (consommation discrétionnaire, financières, industrielles…), alors qu’aux États-Unis la technologie est sans surprise le principal moteur en raison de son poids dans l’indice.


Alors que sur les dernières années, le marché américain a délivré plus de croissance des bénéfices que l'Europe, les initiatives gouvernementales en cours (notamment allemandes), associées au levier opérationnel des sociétés crédibilisent les anticipations. Dans ce cadre, si l'écart de croissance entre les deux grandes zones reste inchangé en 2026, cela amènera mécaniquement à une réduction de la décote du marché actions européen qui est actuellement à un niveau historiquement élevé****…


* Depuis la dernière correction boursière liée au Liberation Day, la confiance des ménages à hauts revenus s’est accrue et celle des bas revenus s’est fragilisée, donnant la configuration en K typique d’une économie à deux vitesses ;

**Ratio cours sur bénéfices prospectifs 12 mois de 22x pour le S&P500 ;

*** +14,2 % pour le S&P500 contre +11,7 % pour le Stoxx600 ;

**** Décote supérieure à 25 % pour le ratio cours sur bénéfices prospectifs 12 mois en secteurs neutres, pour gommer les biais.