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Une belle leçon de solidarité venant de Suède et plus généralement de Scandinavie
Calendar29 May 2020
Thème: Macro
Maison de fonds: Nagelmackers

Christofer Govaerts - Chief Strategist

Dernièrement, la Scandinavie, et en particulier la Suède, a été vivement critiquée par la presse internationale. Pour son approche extrêmement libérale dans la lutte contre le Covid, tout d’abord, qui aura fait froncer bien des sourcils. Et ensuite pour sa réticence face à l’initiative franco-allemande visant à créer un fonds de relance de 500 milliards d’euros pour surmonter la crise du Covid. Est-ce tout simplement la fin de la solidarité scandinave ou existe-t-il d’autres explications à cette attitude ?

Voyage dans le temps – la Scandinavie au début des années 90

Le monde a connu des crises profondes bien avant celles des années 2008 et 2020. En effet, au début des années 90, la Scandinavie était frappée de plein fouet par une crise de grande ampleur.

Il s’agissait tout à la fois d’une crise du crédit, immobilière et bancaire, comparable à la crise que nous connaîtrons bien des années plus tard. Au regard de son impact et des cicatrices qu’elle a laissées derrière elle, cette crise scandinave du début des années 90 avait été enregistrée comme la seconde la plus grave du monde développé depuis 1929 (avant la survenue de la crise de 2008). Tout cela pour dire que la situation était extrêmement grave. Tellement, que les pays scandinaves se sont retrouvés face à des questions existentielles majeures.

Comment surmonter cette crise ? Quelles mesures prendre pour préserver le modèle scandinave d’État-providence ? Et comment faire pour être sûr de pouvoir faire face aux crises prochaines sans sacrifier ce modèle généreux.

En Suède, l’approche a été plutôt pragmatique et directe. Dans un premier temps, le gouvernement a massivement injecté de l’argent public dans le système. Les banques ont été nationalisées (avant d’être reprivatisées par la suite), et on a laissé la dette publique s’envoler à 70 % du PIB. Mais ce n’est pas tout, d’autres mesures, qui se révéleront capitales, ont également été entreprises. La Suède (ainsi que le Danemark) s’est livrée à une importante réflexion : si le pays dispose de l’État-providence libéral le plus généreux au monde, comment faire pour survivre à cette crise tout en conservant ses acquis ?

Partant de cette réflexion, la Suède s’est résignée à procéder à des changements structurels drastiques. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur la façon dont le budget public est établi ainsi que sur ses engagements budgétaires à long terme relatifs à son modèle d’État-providence. Je répète à l’attention des politiques belges : établissement du budget et engagements à long terme !! À mon grand regret, je me vois contraint d’insister encore et encore.

Le mécanisme budgétaire public suédois est dans une certaine mesure comparable à celui du Chili. En Suède, le budget public est élaboré sur l’ensemble du cycle économique (6 à 7 ans), c’est-à-dire du pic au pic, en passant par la récession et la reprise. Il en résulte, et c’est là un fait important, que la coalition chargée de la direction politique du pays, quelle qu’elle soit, doit obéir à certaines règles fondamentales. Des règles qui sont institutionnalisées, et donc inscrites dans la loi et applicables par cette dernière. Cela semble assez ennuyeux, me direz-vous, mais en réalité ce n’est pas le cas. Il en découle tout simplement que peu importe la couleur de la coalition élue (centre droit ou centre gauche), cette dernière est toujours soumise à des restrictions budgétaires légales qui dépendent de l’avancée du cycle économique. La règle de base est que le budget doit rester neutre tout au long du cycle. Les déficits en cas de mauvaise conjoncture sont tout à fait autorisés, mais ceux-ci devront être compensés par des excédents à des moments plus prospères afin d’arriver à la neutralité à la fin du cycle.

Ce, quelle que soit la couleur de la coalition qui gouverne le pays ! Le budget fait également régulièrement l’objet d’une vérification croisée par un panel constitué de responsables politiques, de membres du secteur privé et de professionnels du monde universitaire.

Outre cet exercice budgétaire « révolutionnaire », la Suède a mis en place d’autres réformes structurelles à long terme afin de garantir la pérennité de son modèle d’État-providence généreux. Nous songeons ainsi à la réforme des retraites. Depuis la fin des années 90, le système de retraite suédois est devenu assez pragmatique. Celui-ci compte trois piliers. Le premier est une pension minimale garantie, que vous soyez actif ou passif. Le deuxième constitue en un régime de contribution obligatoire, pour le secteur privé aussi bien que le secteur public, pour les employés actifs.

Quant au troisième, il prend la forme d’un régime privé de constitution de capital encouragé par des avantages fiscaux. Voilà en gros à quoi ressemble le système de retraite suédois. À côté de cela, le marché du travail a également été réformé sur le plan de l’assistance dans la recherche d’un emploi et de l’acquisition d’une formation qualifiante, du montant des allocations de chômage (plutôt généreuses) et du délai pendant lequel les demandeurs d’emploi peuvent profiter de ce régime avantageux.

Suede covid19 Pour faire simple, la Scandinavie a fait le choix de maintenir son modèle généreux, étant entendu que si les citoyens disposent du droit d’en jouir, ils ont aussi des obligations pour faire vivre ce modèle prospère d’État-providence. Voyage dans le temps – le modèle scandinave face au reste du monde Comment la Scandinavie s’est-elle portée au cours des 25 dernières années depuis l’introduction de ces réformes structurelles ? Comme vous pourrez le constater vous-même à la vue des graphiques suivants, pas mal du tout. En fait, si l’on regarde la situation budgétaire du Danemark et de la Suède en 1999, ces deux pays étaient même les seuls, après l’Allemagne, à pouvoir intégrer l’UEM sur la base des critères stricts de Maastricht. Ils y ont pourtant renoncé à l’époque (et je crains bien que l’histoire semble leur avoir donné raison jusqu’à présent).

Covid19 europe

Ratio dette publique 2019 pré-Covid

Conclusions préliminaires – 2020, confrontation à la réalité

1. Au vu des chiffres ci-dessus, la Scandinavie est capable d’absorber de grands chocs liés au cycle économique et peut se permettre d’avoir un budget dans le rouge, sans avoir à paniquer. Parallèlement, les dernières prévisions du Bureau fédéral du Plan pour la Belgique ont fait état d’un déficit budgétaire de 46 milliards d’euros (!!) en sus du reste, ce qui représente une augmentation de 9,2 % du ratio dette publique/PIB, alors que celui-ci dépassait déjà les 100 %. On ne peut pas vraiment parler de situation enviable ni de même niveau que celle dans laquelle nous nous trouvions lors de notre adhésion à l’UEM en 1999. Pour résumer, nous avons perdu 20 ans en matière de gestion de la dette publique.

2. La Scandinavie obtient ses résultats malgré un système de protection sociale généreux qui représente environ 50 % du PIB en termes de dépenses publiques et d’impôts. Ce chiffre est sans aucun doute l’un des plus élevés du monde développé, mais au moins la population obtient un retour sur investissement (pouvez-vous en dire autant, mes chères politiques belges ??).

3. La Scandinavie a fait des sacrifices, mais plus important encore, elle les a faits au bon moment. J’aurais tendance à vouloir dire que les pays scandinaves souhaiteraient mettre la même chose en place à l’échelle européenne, sous réserve que les États membres puissent se prévaloir d’une discipline similaire et d’une attitude comparable. Malheureusement, depuis son lancement en 1999, la majorité des membres de l’UEM ont suivi une autre courbe et n’ont entrepris aucune initiative structurelle pour mettre en place un modèle d’État-providence viable à long terme.

4. Résultat : les réticences des pays scandinaves face à la solidarité européenne sont fondées. Et dans une large mesure, les membres de l’UEM ne peuvent que s’en prendre à eux-mêmes lorsque des membres de l’UE n’appartenant pas à l’UEM refusent de coopérer. C’est là la dure réalité.