Navbar logo new
Le temps est une notion relative
Calendar28 Jun 2021
Thème: Macro
Maison de fonds: Nagelmackers

Albert Einstein a un jour prononcé la phrase suivante sur la notion du temps :

« La ligne de démarcation entre le présent, le passé et le futur est une illusion. »

Christofer govaerts
Christofer Govaerts
Le temps est relatif et cela est également vrai pour les marchés financiers pour lesquels le passé n'est pas très important, alors que l'avenir l'est nettement plus. Il suffit de penser aux indicateurs avancés qui sont observés à la loupe alors que la révision des paramètres économiques du passé récent ne sont utiles que pour les livres d’histoire. Lorsque les entreprises publient leurs résultats trimestriels, elles s'intéressent à la qualité du bénéfice d'exploitation et certainement à ce que l'on appelle le forward guidance, c'est-à-dire les prévisions de l'entreprise pour les trimestres à venir. Un autre lauréat du prix Nobel de physique - Niels Bohr - a dit un jour :

« Faire des prédictions est difficile, surtout lorsqu'il s'agit de l'avenir. »
Dans ce billet, nous examinerons de plus près la question du forward guidance des banques centrales. A cet effet, nous passerons en revue certains moments critiques de l'après-crise financière (de 2008).

26 juillet 2012 - Discours de Mario Draghi à Londres : le bourdon et ‘to do whatever it takes’
Cette date a clôturé une période de 18 mois de crise de l'euro. Ce fut un très bel exemple du poids des mots. Dans ce magnifique discours poétique, le bourdon a été utilisé comme métaphore de l'euro : le bourdon défie toutes les lois de la physique, il n'est pas fait pour explorer l'espace aérien et pourtant, il vole.

En outre, une explication claire mais ferme a été donnée concernant l'euro : Nous faisons tout pour donner à ce projet une chance de réussir et croyez-moi, il réussira avec ce que nous allons faire. Il a également annoncé le début de l'assouplissement quantitatif (QE) au sein de la BCE, ce qui a fait plonger très rapidement les écarts de taux d'intérêt périphériques. Les marchés ont pris cet avertissement au sérieux et le calme est revenu sur l'euro.

22 mai 2013 – Discours de Ben Bernanke (FED) : le ‘QE tapering’

Après 5 ans de politique monétaire agressive - taux d'intérêt à 0% et programmes d'achat d'obligations - l'ancien président de la FED, Ben Bernanke, a prudemment préparé les marchés à un resserrement monétaire progressif. Il n'était pas encore question de hausses des taux d'intérêt, mais d’un scénario pour une réduction mensuelle du soutien du marché obligataire. Le résultat fut un été mouvementé au cours duquel les marchés émergents ont particulièrement souffert (taux de change contre USD).

Cependant, la plupart des marchés boursiers ont bien clôturé l'année grâce à un rallye boursier et à quelques feux qui ont été éteints par le président de la Fed. Toutefois, ce n'est qu'en décembre 2015 que la FED, sous la direction de Janet Yellen, a pris les premières mesures en vue d'un relèvement des taux d'intérêt, mesures qui ont ensuite été développées par étapes par Jerome Powell jusqu'à la fin de 2019.

Printemps 2020 – la Covid-19 et les leçons du passé

Avec l'apparition de la pandémie du coronavirus, toutes les hausses des taux d'intérêt américains depuis 2015 ont été effacées en quelques semaines et nous sommes revenus à la case départ, c'est-à-dire à un taux d'intérêt de 0% aux Etats-Unis. L'imprimante QE a à nouveau tourné à pleine vitesse et l'administration a introduit un bazooka fiscal (et quel bazooka), également en Europe. On craignait une panique du marché comme en 2008, mais les mécanismes étaient différents. En 2008, la crainte était qu'une implosion du système bancaire mondial plonge l'économie réelle dans l'abîme.

Alors que qu’en 2020, la crainte était qu'une récession majeure imminente fasse s'effondrer le système bancaire (vague de faillites d'entreprises, etc.).

Septembre 2020 FOMC - Jerome Powell & forward guidance

Pendant la période de questions qui a suivi la décision du FOMC sur les taux, Jerome Powell a fait une déclaration très audacieuse concernant la politique monétaire à venir. Interrogé sur le moment où l'on pourra s'attendre à une politique monétaire moins agressive, Powell a répondu que la reprise économique était loin d'être achevée (marché du travail et chômage) et qu'il ne fallait pas s'attendre à un resserrement monétaire avant la fin de 2023. Une prévision de trois ans, du jamais vu ! Christine Lagarde (BCE) a fait des déclarations, en termes plus masqués, qui allaient dans le sens de Powell mais a conservé un peu plus de flexibilité. C’est sage et ce que font habituellement les banquiers centraux. Cela s’appelle ‘en fonction des nouvelles données’.

7 juin 2021 - 16 juin 2021 : Janet Yellen facilite quelque peu la tâche de Powell

Bien qu'il ne lui appartienne plus de faire des déclarations sur la politique monétaire, la ministre des finances, Janet Yellen, prépare les marchés en affirmant que la hausse des taux d'intérêt n'est pas un problème et que l'économie est en voie de guérison et commence à tourner à plein régime. Ce coup double a été donné par Powell le 16 juin, lorsqu'il a modifié le calendrier (de 2023 à 2022 et démarrage de la réduction des achats de la dette publique par la FED (réduction QE) au début 21/22). Le résultat ne s'est pas fait attendre, avec quelques corrections de marché sur les Bourses du monde entier et la reprise du pouvoir par le dollar.

Conclusion

Powell a-t-il fait un faux pas le 16 juin comme Bernanke en mai 2013 ? L'avenir nous le dira, mais il montre qu'il faut extrêmement bien peser ses mots, surtout lorsqu’on emploie la notion de temps : six mois représentent une espérance de vie moyenne sur les marchés financiers, trois ans semblent une éternité durant laquelle beaucoup de choses se passent, que ce soit sur le plan économique ou géopolitique. Tenter de revenir sur ses propos à court terme est donc d'autant plus délicat. Sa crédibilité est en effet en jeu.

Ensuite, il faut également se méfier des soi-disant gourous qui ont tout vu venir et tout prédit : dans de nombreux cas, ils ont prédit certains événements des années à l'avance. Si l'on répète son message assez longtemps, un jour, on finira par avoir raison. Pendant ce temps – alors que la fin du monde est encore loin - on rate les rallyes boursiers et on peut défintivement fermer sa boutique de gestion d'actifs après trois ans, et donc, avant même que ce ne soit la fin du monde. Il est toujours agréable d’avoir raison, l'arrière-goût d'une boutique vide l'est moins.

Les marchés financiers abritent un cimetière de soi-disant bons market timers : One year hero, the other year zero and permanently out of business .

POST

Le temps est une notion relative. C’est aussi vrai pour les marchés financiers pour lesquels le passé n'a que peu d’importance par rapport à l'avenir. Découvrez-en plus sur le ‘forward guidance’ des banques centrales, dans cette chronologie de notre macro-économiste Christofer Govaerts.