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Peter De Coensel, CEO DPAM: "Le baromètre du high yield"
Calendar27 Jun 2022
Thème: Fixed Income
Maison de fonds: DPAM

Les tensions sur les marchés financiers ne faiblissent pas. Au contraire, les banques centrales admettent désormais ouvertement que leur capacité à prévoir l'inflation n'a pas été à la hauteur. Même si tel est le cas et qu'aucun modèle d'équilibre général stochastique dynamique (DSGE) n'a été d'un quelconque secours, les banques centrales devraient améliorer et travailler sur leurs orientations en matière de taux directeurs finaux.
Peter de coensel
Peter De Coensel
Les modèles DSGE sont fondamentalement construits sur l'interaction entre les fonctions d’offre et de demande et la fonction de réaction de la politique monétaire. Ces modèles DSGE ont guidé l'élaboration des politiques au cours des dernières décennies. Ils reposent sur un ensemble d'hypothèses axées sur la concurrence parfaite, l'ajustement instantané et complet des prix, les anticipations rationnelles, l'absence d'asymétrie de l'information et le comportement uniforme des entreprises et des ménages. Il est évident que les pandémies et les tensions géopolitiques actuelles ne sont pas favorables à ces modèles. Les banques centrales ont donc décidé de s'en tenir à une réponse "simple": "Nous nous concentrons uniquement sur la lutte contre l'inflation et l'ancrage des prévisions d'inflation. L'augmentation des taux directeurs sera le levier privilégié."

Malheureusement, de telles stratégies de communication accroissent l'incertitude. Elles renforcent l'impression d'une évolution constante des objectifs. Alors que l'inflation dans l'UE et aux États-Unis se maintient au-dessus de 8 %, les banques centrales pourraient être amenées à aller au-delà de la tendance ​ principale des taux directeurs tels qu'évalués par les marchés. Les taux des fonds de la Fed pourraient alors atteindre 4 % (ou plus) et les taux directeurs de la BCE 2,5 % (ou plus). La demande pour les biens et services serait alors freinée brutalement. L'inflation s'en trouverait brisée.

Dans un tel scénario, on peut s'attendre à une inversion rapide des courbes de rendement allemande et américaine. L'inversion de la courbe des taux américains, apparue au cours de la semaine dernière, en dit long : les taux des bons du Trésor à 5 ans ont clôturé la semaine à 3,25 %, les bons du Trésor à 7 ans à 3,23 % et les bons du Trésor à 10 ans à 3,15 %. Le marché anticipe ainsi des objectifs de taux directeurs plus élevés.

Dans ces circonstances, il est important de se pencher sur une classe d'actifs qui se trouve à la croisée des chemins : le crédit high yield. Les obligations d'entreprise high yield se situent entre les actions et les obligations d'entreprise investment grade. Historiquement, la corrélation de rendement de cette classe d'actifs avec les marchés actions est positive et fluctue autour de +0,5. Lorsque les actions baissent de 10%, on peut s'attendre à ce que les obligations high yield baissent d'environ 5 % ou vice versa. Pendant la plupart des périodes de crise de la dernière décennie, la corrélation des rendements avec les obligations d'État non risquées était légèrement négative. Dans le cas du crédit investment grade, la corrélation est positive mais bien inférieure à celle observée pour les actions.

Or, un épisode singulier s'est déroulé sur les marchés des taux et du crédit au cours de l'été 2021. Un examen plus approfondi des performances depuis lors nous informe que les corrélations à plus long terme n'ont pas été conformes aux tendances historiques et ne se sont pas répétées. En effet, le mouvement de baisse des marchés n'a pas été amorcé par des craintes liées à la croissance cyclique, mais par l'inflation, un scénario qui n'a pas été tellement évoqué ou redouté au cours des 30 dernières années.

Ce sont les performances des obligations d’Etat de l’Union économique et monétaire (UEM) qui ont été le plus affectées par l’inflation. Entre le 6 août 2021, date à laquelle les taux du bund allemand à 10 ans étaient encore négatifs à -0,5 %, et aujourd'hui, les rendements des obligations d'État de la région ont reculé de 15,1 %. Les obligations d'entreprises européennes investment grade accusent une baisse de 12,8 %, tandis que les obligations à haut rendement ont enregistré une baisse plus raisonnable de 10,4 %. Les actions de la zone euro ont reculé de 12,7 %, tandis que les actions du continent dans son ensemble ont mieux résisté (-6,7 %). Les turbulences du marché sont alimentées par la hausse des taux. La volatilité accrue et peu réjouissante sur les taux a poussé les primes de risque sur le crédit à la hausse, la crainte d'un atterrissage économique brutal se propageant parmi les acteurs du marché. Vendre d'abord, réfléchir ensuite, tel est l'adage du moment.

Que nous entrions ou non dans une récession technique, l'ajustement des taux a poussé le crédit européen à haut rendement vers des valorisations plus que correctes. La classe d'actifs, même en tenant compte des conditions de liquidité moindres rencontrées à ce stade, offre un rendement d'environ 6,00 %. Elle a vu son spread de crédit plus que doubler au cours de l'année dernière. À 4,85 %, soit 485 points de base, il se situe dans une fourchette de 400 à 600 points de base, ce qui correspond à des conditions de marché tendues dues à une forte incertitude sur la croissance future, comme ce fut le cas début 2016 par exemple. L'incertitude concernant la croissance chinoise était alors le facteur déterminant. Aujourd'hui, nous faisons face à des dépassements des objectifs d'inflation sans pour autant qu'il y ait un danger perceptible de voir le chômage augmenter à la suite d'un ralentissement cyclique de la croissance.

Une fois de plus, qui l'aurait cru, les marchés financiers doivent s'adapter à une réalité qui pourrait nous renvoyer à la situation qui prévalait avant la crise financière mondiale, lorsque les marchés offraient des perspectives de rendement à long terme relativement correctes pour toutes les catégories d'actifs. Les banques centrales sont désireuses de s'adapter rapidement. Le cycle de hausse rapide et agressif de la FED et de la BCE est en passe d'être intégré dans les cours.

Les titres bancaires obligataires hautement subordonnés constituent une sous-composante intéressante du marché high yield. Ces obligations, appelées AT1 (Additional Tier 1 bank credit), agissent comme des fonds propres de base pour les banques. Dès l'instant où la banque ne serait pas en mesure d'honorer les minimas de capitalisation réglementaires, ces obligations cesseraient de verser des coupons dans le meilleur des cas, ou seraient converties en actions dans le pire des cas. On se souvient de la douloureuse liquidation du marché en mars 2020. Le sous-secteur EUR AT1 a été réévalué en fonction des valorisations observées à l'époque, avec des rendements offerts entre 6 % et 6,5 % à la date du premier appel.

Ces niveaux s'alignent sur le rendement attendu des dividendes des actions des banques européennes : un signal rare. Généralement, ce type d'obligations subordonnées se heurte à des problèmes techniques tels que la liquidation forcée lorsque des moments de panique, ou de résignation, frappent les marchés. À ce moment-là, la valeur réelle refait surface. Les marchés, actions et obligations, entrent alors dans une phase de formation d’un niveau plancher. Cependant, il peut être difficile, voire impossible, de prévoir l’arrivée de ce type de moments. La vigilance est donc de mise.

En attendant, l'univers du haut rendement européen, avec un tampon de près de 5 % en prime de risque de crédit, peut supporter un cycle de défaut implicite cumulé d'environ 32 % au cours des 5 prochaines années (c'est-à-dire en moyenne plus de 6 % de défauts par an). Le cycle de défaut moyen au cours des 30 dernières années a été de 15 %. Le cycle de défaut cumulé sur 5 ans le plus défavorable est de 30 %. Les défaillances réelles attendues au cours des 12 prochains mois sont inférieures à 2 %.

Le mur d'échéance des obligations à haut rendement, qui fait l'objet de nombreuses discussions, n'est pas la principale préoccupation. Les besoins de refinancement des sociétés à haut rendement au-delà de 2022 sont faibles. Par conséquent, les émissions actuelles sont également faibles. On s'attend à ce que les nouvelles émissions de sociétés high yield de qualité soient accueillies avec intérêt lors de la réouverture des marchés après l'été.

Il est clair que les conditions financières se resserrent rapidement. Ce retour en arrière rapide et intense laisse perplexe de nombreux acteurs du marché. Cependant, certains baromètres fonctionnent mieux que d'autres. Un suivi attentif du marché du haut rendement peut nous apprendre beaucoup sur l'ampleur de la réévaluation de toutes les classes d'actifs.