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"Paris sur les devises : le retour"
Calendar04 Oct 2022
Thème: Devises
Maison de fonds: DPAM

Par Peter De Coensel, CEO DPAM

Les déséquilibres mondiaux en matière de change se multiplient en raison de choix divergents en matière de politique budgétaire et monétaire, et ils commencent seulement à devenir visibles. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que les hommes au pouvoir ne se décident à tenter d'en atténuer l'impact.

Le taux directeur de la Banque du Japon devrait passer en positif d'ici juin 2023.

A la demande du ministère des Finances, la Banque du Japon (BoJ) est intervenue le 22 septembre dernier pour stopper la dégringolade du yen vis-à-vis du dollar. Cette annonce a suivi de peu l’annonce par la banque centrale du maintien d’une politique monétaire extrêmement accommodante. L’action de la BoJ a eu pour effet une chute de 3,7% du yen qui est passé de 145,85 pour un dollar à un niveau plus bas de 140,35 avant de terminer la semaine à 143,31. Ce résultat vient confirmer ce qui a déjà été maintes fois constaté, à savoir que les interventions sur les devises ont peu d’effet.

Lorsqu’une banque centrale intervient sur le marché des changes pour freiner la dépréciation d’une devise, voire pour inverser ce mouvement, son action ne peut être efficace que si elle est rapidement accompagnée par un changement de politique, monétaire ou autre. Haruhiko Kuroda, actuel gouverneur de la BoJ, terminera son mandat en avril 2023. Faut-il penser qu’il entend laisser à son successeur le soin d’abandonner le contrôle de la courbe des taux (CCT) ? Ou va-t-il « bricoler » ce contrôle en ne l’effectuant plus que sur la partie courte de la courbe (zéro à cinq ans) au lieu de la maintenir sur les échéances zéro à 10 ans ? Les réserves de change du Japon sont très confortables puisqu’elles s’élèvent à 1175 milliards de dollars. Cependant, pour éviter de trop puiser dans ce trésor de guerre, les autorités devront vendre des bons du Trésor américain puis, dans un deuxième temps, elles devront également vendre les dollars ainsi obtenus afin de soutenir le yen.

Au Japon, l’inflation globale se situe à 3,00% alors que l’inflation de base s’élève à 1,6%. Pour que la BoJ modifie sa politique de contrôle de la courbe, il serait nécessaire que ces chiffres dépassent les niveaux actuels pendant trois mois au moins. A l’heure actuelle, les marchés tablent sur une hausse du taux directeur qui devrait passer de – 0,10% à +0,10% d’ici juin 2023. Apparemment, et en comparaison des dirigeants des autres banques centrales des pays de l’OCDE, les gouverneurs de la BoJ semblent éloignés des réalités de terrain ! Même si la BoJ est parvenue à appliquer avec succès sa politique de contrôle de la courbe durant ces six dernières années, il faut s’attendre à une période plus difficile, compte tenu de la nécessité de lutter contre la tendance haussière du dollar vis-à-vis du yen. Le seuil de 150 yens pour un dollar paraît attrayant.

Les banques centrales européennes seraient-elles passées en mode panique ?

En Europe, toutes les banques centrales semblent s’impatienter comme en témoignent les décisions audacieuses de la Riksbank suédoise qui a relevé ses taux de 100 points de base (pb) et de la BNS qui a augmenté les siens de 75 pb. Mais pour la première cela s’est traduit par une forte dépréciation de la couronne suédoise par rapport à l’euro, alors que pour la seconde, cela a déclenché une nouvelle appréciation du franc suisse. Ainsi, par rapport à l’euro, la devise helvétique a atteint des sommets que l’on n’avait plus connu depuis plusieurs décennies. Les marchés des changes connaissent un regain de tensions et l’indice de volatilité JP Morgan FX est en train de s’envoler.

L'adoption d'une hausse modeste et mesurée de 50 pb par la Banque d'Angleterre a semé la pagaille sur le marché des gilts, à côté d'une chute incontrôlée de la livre sterling. Ce double coup du sort semble être durable. En effet, les initiatives fiscales du gouvernement Truss inquiètent fortement les investisseurs en gilts. Les gilts à deux ans ont augmenté de plus de 40 pb pour clôturer à 3,90 % vendredi. Les gilts à dix ans ont souffert d'un coup de 33 pb, clôturant à 3,82 %, perçant les taux américains à dix ans. En début de semaine, la vente s'est accélérée, les gilts à 10 ans atteignant 4,12 %. Le bureau de gestion de la dette britannique (DMO) est perplexe, le marché encore plus. Le taux EURGBP est sur le point de tester la résistance de 0,95, tandis que le taux de change GBPUSD s'oriente vers une situation de parité. L'indice dollar (DXY) à 113,75 se rapproche de 120.

Prééminence dollar confirmée

Pendant ce temps, le dollar qui s’échange à 7,16 yuan renminbis (chiffre au lundi 26 septembre) se dirige régulièrement et allégrement vers les sommets atteints en 2019 et 2020. On peut se demander quel est l’objectif de la Banque populaire de Chine : un niveau de 7,50 à 8,00 serait-il à même d’atténuer l’impact de la débâcle immobilière à laquelle viennent s’ajouter les difficultés d’un secteur manufacturier soumis au « stop and go » qui découle de la politique du « zéro Covid » ?

Sur les marchés des changes, la politique du chacun pour soi devient de plus en plus manifeste. Affaiblir sa devise et, parallèlement, adopter des politiques qui visent à protéger le tissu économique domestique sont souvent l’expression du nouvel ordre mondial post-Covid. Ainsi, la prééminence du dollar est confirmée et sa crédibilité en tant que valeur refuge est renforcée. Les devises qui commencent à perdre du terrain par rapport à un dollar qui ne cesse de grimper sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses. Au cœur du problème se trouve la Fed qui, par sa détermination, semble avoir surpris la plupart des banques centrales. Or, les marchés tablent sur des taux directeurs américains qui pourraient se situer entre 4,50% et 5,00% au printemps 2023. La divergence des politiques entre la Fed et un nombre croissant de banques centrales est donc bien devenue une réalité.

On se souvient de la fameuse boutade de John Connally, secrétaire au Trésor en 1971 : "Le dollar, c’est notre devise, mais c'est votre problème". Durant la présidence de Richard Nixon, ce secrétaire au Trésor avait négocié la sortie des accords de Bretton Woods tout en gérant les questions monétaires et en établissant une politique protectionniste. Résultat, le dollar avait perdu environ 10% et les tensions s’étaient apaisées.

Accrochez-vous

Mais après cette brève incursion dans le passé, revenons à la situation présente. Les déséquilibres ne font que commencer à se manifester et ils se creusent en raison de politiques budgétaires et monétaires divergentes. ​ Il faut donc s’attendre à ce que la volatilité élevée que nous connaissons depuis un certain temps sur les marchés de taux et sur les bourses affecte également le marché des changes. Autrement dit, la volatilité des devises et les paris sur ces dernières sont de retour. Les sommets du G7 ou du G19 (ex-Russie) pourraient donc devenir les plateformes sur lesquelles les autorités tenteront de se coordonner ou de passer des accords susceptibles d’atténuer l’impact de politiques divergentes. Mais il reste encore un long chemin à parcourir avant que les responsables politiques ne se décident à agir dans ce sens. Aussi, en attendant, mieux vaut bien attacher sa ceinture !