
Par Frédéric Lejoint.
La probabilité d’une récession aux Etats-Unis a fortement augmenté durant les dernières semaines, et l’impact des droits de douane ne deviendra visible qu’au début de l’été. Dans l’intervalle, les marchés risquent de rester nerveux.
C’est en public et à Bruxelles que Pierre Puybasset (Porte-parole de la gestion) et David Kruk (Responsable du trading desk) ont récemment tenu leur webinaire mensuel « Au Cœur Des Marchés » pour La Financière de l’Échiquier. Ils ont comme d’habitude passé en revue l’actualité du mois écoulé, avec le soutien de David Ross,CFA (gestionnaire du fonds Echiquier World Equity Growth).

Marche arrière
David Kruk a tout d’abord rappelé les nombreux événements du mois écoulé, qui avait commencé en fanfare le 2 avril avec le Liberation Day de Donald Trump, « une annonce pire que notre worst case scenario, qui allait nécessairement entraîner des mesures de riposte des pays visés. Rapidement, l’ensemble des indices américains sont passés en bear market, à savoir une correction de 20% par rapport au dernier record, avec un niveau de volatilité qui n’avait plus été observé depuis la pandémie de coronavirus ».
Mais c’est le marché obligataire qui a finalement fait flancher Donald Trump, avec des taux à 10 ans qui ont grimpé rapidement vers 4,5% suite à des rumeurs liées aux problèmes de refinancement des dettes américaines. « S’il avait laissé les actions reculer de 20% sans sourciller, l’augmentation de la nervosité sur le marché obligataire l’a contraint à faire marche arrière sur les droits de douane et à déclarer un moratoire de 90 jours ».
Points de soutien
Par la suite, Jerome Powell a également douché les espoirs d’une détente rapide des conditions monétaires, en soulignant qu’il aurait besoin d’avoir davantage d’informations quant à l’impact des droits de douane sur l’inflation et la croissance. « Je ne pense pas que Donald Trump pourra facilement débarquer Jerome Powell, mais il l’accusera certainement d’être la principale cause d’une éventuelle dégradation des données économiques. Et le prochain président de la Fed qui sera nommé en 2026 risque d’avoir davantage de difficultés à affirmer son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique ».
David Kruk a également tenu à mettre plusieurs éléments positifs en évidence. « Premièrement, les investisseurs particuliers américains ont continué de racheter le marché durant les périodes de turbulence. Deuxièmement, nous avons touché des pointes de volatilité très élevées, et l’histoire a montré que les performances boursières ont tendance à être bonnes durant les six mois qui suivent ces pics. Troisièmement, les marchés se sont rendu compte que Donald Trump n’est finalement pas inébranlable. Et quatrièmement, l’Europe et la Chine ont continué de montrer des signaux économiques encourageants ».
Baisse des attentes
Du côté des grands courtiers, David Kruk souligne que le mois écoulé a été marqué par une baisse généralisée des attentes pour la croissance américaine. « Le fil rouge, c'est récession ou pas, avec des probabilités qui oscillent désormais entre 40 et 60%. Même des courtiers généralement plus optimistes ont aujourd’hui une vision proche d’une récession. Nous sommes aujourd’hui à la dernière station avant le terminus pour les marchés américains ».
L'autre risque mis en avant par David Kruk , ce sont les résultats des sociétés, et plus particulièrement les anticipations des directions pour le reste de l'année dans un contexte d’incertitudes sur les droits de douane. « Pour les attentes bénéficiaires, les grands courtiers s’attendent généralement à une forte dégradation des attentes du consensus, un mouvement qui sera encore accentué si le spectre d’une récession venait à se confirmer ».
Rester calme
Pour David Ross, le spectre d’une récession accompagnée d’une hausse de l’inflation à court terme est aujourd’hui dans l’esprit des investisseurs. « Dans ce contexte, la Réserve Fédérale est aujourd’hui dans l’incapacité de sauver l’économie comme elle l’avait fait en 2008. Je suis plutôt de l’avis que l’impact des droits de douane risque de pousser de nombreuses entreprises à licencier, ce qui va plutôt pousser l’inflation à la baisse. Le plus important pour un investisseur est aujourd’hui de rester calme et d’attendre ce qui se passera d’ici l’été ».
« La relation entre la Chine et les Etats-Unis est aujourd’hui fondamentalement brisée, avec un monde qui va probablement se diviser en deux camps ». Il s’attend toutefois à ce qu’un accord soit trouvé à un moment ou l’autre, « ce qui permettra à Donald Trump de pouvoir crier victoire et permettre une reprise de certains échanges commerciaux. Pour ce qui est des semi-conducteurs, la Chine va accélérer ses investissements pour devenir autosuffisante. Dans ce contexte, l’Europe va devoir trouver un équilibre délicat entre les deux superpuissances au cours des prochaines années ».
Un marché de trader
Dans ce contexte, David Kruk souligne que les prochaines semaines vont nécessiter une vigilance accrue. « Trump a clairement marqué contre son camp, et a détraqué une machine économique qui tournait comme une horloge lorsqu’il en a hérité de Joe Biden. La question est aujourd’hui de savoir si les dégâts sont irrémédiables, ou si nous sommes à la veille d’un effondrement des bénéfices ». Il estime que ce ne sera probablement pas avant l’été que nous aurons une réponse claire à cette question. « Dans l’intervalle, les attentes risquent de continuer à se dégrader ».
« La principale question est de savoir si le retail américain va tenir bon et continuer de racheter les creux du marché. C’est la première fois depuis plusieurs années que j’ai un doute à ce sujet, en particulier si la récession se confirme et si le chômage augmente rapidement ». Il estime donc qu’il va surtout falloir être attentif aux chiffres du chômage durant les prochaines semaines. « Si le chiffre des créations d’emplois se dégrade fortement, la Réserve Fédérale sera probablement contrainte d’intervenir ».
David Kruk estime que les marchés américains vont continuer de souffler le chaud et le froid, en particulier si la saison des résultats comporte de nombreux commentaires prudents des directions. « Le marché risque d’être dominé par les traders, avec des indices américains qui risquent d’être stables ou baissiers ».