
Emmanuel Petit, Associé-Gérant, Responsable de la Gestion Obligataire & Philippe Lomné, Gestionnaire Obligataire Spécialisation : Crédit IG & Crossover, Rothschild & Co Asset Management.
La résurgence des tensions commerciales a ravivé les pressions inflationnistes et accentué les divergences de politiques monétaires entre États-Unis et Europe. Si l’environnement reste emprunt d’incertitudes, les rendements du marché du crédit et les fondamentaux toujours solides des entreprises continuent d’offrir des perspectives attrayantes aux investisseurs.
La perspective de baisses des taux généralisées a été rattrapée par une réalité géopolitique plus complexe. Les tensions commerciales, liées à la l’introduction de nouveaux droits de douane par les États-Unis, ont notamment ravivé les tensions inflationnistes, engendrant une hausse des taux longs et des craintes sur la dynamique économique américaine. Les anticipations d’inflation à un an dépassent désormais 3,3 % [1] et l’incertitude se renforce au regard de la volatilité des indicateurs économiques.
Dans ce contexte, la Réserve fédérale américaine demeure prudente, au grand dam de Donald Trump. Le locataire de la Maison Blanche a même décidé d’engager un bras de fer avec le président de la Fed – qu’il a lui-même nommé lors de son précédent mandat – qui reste, pour l’heure, inflexible et maintient le statu quo, jugeant la situation économique peu propice à un assouplissement monétaire. Le marché du travail américain est robuste, alors que les entreprises continuent de publier des résultats de bonne facture et n’ont pas encore infléchi leurs politiques salariales. En conséquence, une spirale prix-salaires semble s’installer durablement et les investisseurs qui anticipaient quatre baisses de taux en début d’année, n’en n’envisagent désormais plus que deux.
Parallèlement, le creusement du déficit budgétaire américain et le resserrement quantitatif initié par la Fed depuis 2022 entraînent une explosion de l’offre nette d’obligations d’État. Près de 30 % de la dette américaine devra être refinancée en 2025, un niveau supérieur à la moyenne historique qui se situe autour de 22 % [2], alors que la notation du pays vient récemment d’être dégradée. Avec un taux directeur de la Fed actuellement entre 4,25 % et 4,75 %, la soutenabilité de cette dette pose question et les rendements obligataires se tendent. Les investisseurs étrangers, Chine en tête, semblent se détourner de cette classe d’actifs et la pression sur les taux longs s’accentue, alimentant les craintes d’un désengagement plus large des investisseurs internationaux. La confiance dans la devise américaine pourrait elle-même s’éroder.
La divergence de politiques monétaires s’est renforcée au cours des derniers mois à mesure que la BCE continuait de baisser ses taux, maintenant son rythme de croisière. Après une dernière baisse en juin, une nouvelle est encore attendue d’ici la fin de l’année. De surcroît, les plans de relance allemand et européen ont engendré un sursaut de la Zone. Bien que molle, la dynamique économique européenne se maintient. Les besoins de financement vont croissants et soutiennent les taux longs entrainant une pentification de la courbe.
Alors que la soutenabilité des dettes souveraines interroge, les entreprises affichent des fondamentaux solides susceptibles de leur permettre d’encaisser de potentiels chocs macroéconomiques. Depuis le début de l’année, les investisseurs ont donc tendance à favoriser le crédit. Les taux encore élevés associés à la prime spécifique leur permet d’obtenir un niveau de rémunération supérieur qu’avec la dette d’État.
Dans cet environnement, nous maintenons un positionnement prudent et opportuniste. Le marché nous semble peut-être trop optimiste face aux derniers revirements de Donald Trump sur le report de l’application des droits de douane. Ces derniers restent plus élevés que préalablement à son arrivée au pouvoir et nous attendons de voir ce qu’il adviendra une fois la pause de 90 jours arrivée à son terme. Nous restons, en conséquence, vigilants vis-à-vis des secteurs les plus exposés aux tensions commerciales, comme l’automobile. Par ailleurs, nous conservons une exposition importante aux financières que nous avons eu tendance à renforcer suite à la correction du mois d’avril. Nous restons convaincus du potentiel de cette classe d’actifs au regard de la solidité des fondamentaux des acteurs du secteur.
Nous avons progressivement baissé la sensibilité de nos portefeuilles à mesure que les taux baissaient. Par ailleurs, nous avons allongé les maturités au gré des souscriptions pour éviter de se laisser diluer et profiter de la pentification des courbes. Nous estimons qu’au sein du segment Investment Grade [3] , les obligations les mieux notées de maturité 5 à 10 ans offrent les meilleures opportunités grâce au rendement excédentaire qu’elles permettent de capter. Le portage rend cette classe d’actifs naturellement attractive et la décorrélation entre les spreads et les taux modère sa volatilité car chaque effet se compense.
Nous considérons donc la situation actuelle comme relativement confortable. Le crédit reste cher, en dépit de l’épisode de volatilité d’avril dernier, mais les rendements demeurent attractifs grâce au niveau des taux. Les fondamentaux des entreprises sont solides, les flux sont présents, notamment sur l’Investment Grade, et des opportunités émergent ponctuellement. L’incertitude ambiante, bien qu’elle nous pousse à rester prudents, en raison notamment des risques d’escalade dans la guerre commerciale, génère des opportunités. Cette situation justifie que nous conservions des poches de liquidité pour nous positionner rapidement lorsque les valorisations deviennent plus attractives. Dans un environnement où les effets d’annonce précèdent souvent les impacts réels, la discipline et la réactivité restent nos meilleurs atouts.
[1] Source : BLS, S&P Global, avril 2025.
[2] Source : Bloomberg, 16/05/2025.
[3] Titre de créance émis par des entreprises ou États dont la notation est comprise entre AAA et BBB- selon l’échelle de Standard & Poor’s.