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«L’orthodoxie financière est dans les pays émergents »
Calendar22 Aug 2025
Maison de fonds: Amundi

Interview du mois:

Alessia Berardi (Head of Emerging Macro Strategy chez Amundi Investment Institute)

Alessia berardi
Alessia Berardi

Alessia Berardi a commencé sa carrière dans la gestion d’actifs en 1998, et a rejoint l’équipe de recherché d’ Amundi (Pioneer Investments) en 2004. Depuis 2013, elle a commencé à couvrir plus spécifiquement les marchés émergents. Elle occupe la fonction d’Head of Emerging Macro Strategy, et est responsable de l’analyse Top Down des différentes économies émergentes, une approche basée sur des modèles mathématiques visant à identifier les facteurs fondamentaux susceptibles d’influencer les décisions d’investissement dans ces régions.

Quelles est votre analyse économique actuelle des marchés émergents ?

Alessia Berardi : « Nous sommes toujours dans un contexte de croissance mondiale globalement faible, mais les économies émergentes continuent de bénéficier d'une prime de croissance appréciable par rapport aux marchés développés, en particulier pour l’Asie. Dans la plupart des pays, l'inflation se situe également dans les objectifs des banques centrales, ce qui leur permet de poursuivre leur politique d'assouplissement. Je remarque également que la faiblesse de l’inflation n’est pas menacée par une dépréciation des devises émergentes face au dollar, ce qui a permis une bonne performance des actifs en devise locale depuis le début de l’année ».

Les devises émergentes sont-elles encore sous-évaluées ?

A.B. : « Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, une grande partie de la décote a disparu suite à la forte performance du premier semestre, et rares sont aujourd'hui les devises émergentes qui soient encore sous-évaluées. La majeure partie du cycle d'assouplissement des politiques monétaires dans les marchés émergents est désormais terminée, et rares sont les pays où il existe encore une marge de manœuvre pour assouplir davantage les taux directeurs ».

Les banques centrales émergentes ne suivent plus systématiquement les décisions de la Fed ?

A.B. : « Auparavant, lorsque la volatilité et le risque augmentaient, le dollar était fort et les banques centrales émergentes s’alignaient avec les décisions de la Fed. C’est n’est désormais plus le cas. Les économies émergentes sont de moins en moins dépendantes des exportations, avec une consommation domestique qui est de plus en plus importante. Ils se sont spécialisés et leur croissance s’est diversifiée. En outre, cette évolution est favorisée par l’essor des plateformes numériques et du commerce en ligne, qui permet aux entreprises d'atteindre des clients qui n’étaient pas desservis auparavant ».

Les flux sont-ils redevenus positifs en 2025 ?

A.B. : « La faiblesse du dollar et un taux américain à long terme pas trop élevé constituent une situation assez favorable aux marchés émergents. Ces économies arrivent à maturité et deviennent davantage maîtresses de leur destin. Les flux vers la classe d’actifs ont été remarquablement solides, ce segment ayant bénéficié de la rotation en dehors des actions américaines durant le premier semestre, notamment vers l’Amérique latine. Ils auraient clairement été plus élevés sans la problématique des droits de douane. Il y a de nombreux secteurs qui sont aujourd’hui dans le viseur de l’administration américaine, comme la pharmacie ou les semi-conducteurs, avec un impact des droits de douane qui pourrait être très important sur des pays comme l’Inde ou Taïwan ».

Sur les marchés obligataires, quels sont les segments que vous privilégiez ?

A.B. : « Pour l'instant, nous apprécions tant les émissions en devises fortes qu’en monnaie locale. Dans le segment des devises fortes, nous apprécions les émissions à haut rendement en raison des rendements élevés qui offrent une protection contre la hausse des rendements des bons du Trésor américain. En devise locale, il faut davantage privilégier des régions où les banques centrales ont encore la possibilité de détendre leur taux directeur, notamment en Amérique Latine (Colombie, Brésil, Mexique) ou en Europe Centrale (Hongrie, Roumanie) ».

Et pour les actions ?

A.B. : « Du côté des actions, nous restons surpondérés, notamment sur l'Inde. Le marché indien avait reculé à la fin 2024 en raison d’une croissance relativement décevante, mais l’activité économique s’est depuis rétablie sur un niveau acceptable (entre 6 et 7%) avec des prévisions de bénéfices solides (un peu en dessous de 15%) et des histoires qui restent intéressantes au niveau des valeurs individuelles ».

Et dans le reste des bourses émergentes ?

A.B. : « En Amérique latine, nous pensons que les valorisations restent attractives en dépit de la bonne performance depuis le début de l’année, avec une préférence pour le Brésil par rapport au Mexique. Enfin, nous apprécions également les perspectives actuelles de l’Afrique du Sud ou de la Turquie. Dans ce dernier pays, le pilotage de la politique monétaire a radicalement changé pour adopter une approche plus orthodoxe qui est aujourd’hui récompensée par le marché ».

Que pensez-vous des perspectives de la Chine dans un contexte international qui reste difficile ?

A.B. : « La Chine continue d’investir massivement et est aujourd’hui à la pointe des progrès scientifiques dans plusieurs secteurs. L’arrivée d’un modèle comme DeepSeek au début 2025 était dans l’ordre des choses au vu des investissements consentis. Dans le même temps, le pays reste au cœur d’une dispute commerciale avec l’administration Trump, ce qui retient les investisseurs de devenir plus optimistes sur le pays. Enfin, il reste encore des incertitudes sur la crise du secteur immobilier, avec un ajustement des prix qui n’est pas encore terminé ».

Faut-il encore s’inquiéter de la gouvernance dans les pays émergents ?

A.B. : « Pour moi, la stabilité financière est une combinaison de bonnes pratiques en termes de politiques monétaires et budgétaires. Aujourd'hui, si je les compare aux marchés développés, je peux affirmer sans hésiter que l'orthodoxie est souvent plus présente dans économies émergentes. Les banques centrales font souvent plus d’efforts pour se prémunir d’une hausse de l’inflation. Il y a deux ans, elles ont commencé à assouplir leurs taux car ils avaient réussi à maîtriser l'inflation, alors que la Fed continuait de relever ses siens. Dans la plupart des pays émergents, l'inflation se situe dans la fourchette cible des banques centrales. De même, face aux dérapages budgétaires dans certains pays occidentaux, il est possible de trouver quelques bons exemples d’orthodoxie budgétaire dans les pays émergents, comme l’Inde ou l’Indonésie ».

Par Frédéric Lejoint