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Secteur du luxe : une saison sous le signe de la sobriété
Calendar24 Oct 2025
Thème: Investir
Maison de fonds: DNCA Investments
Dnca


Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.


La nouvelle n'est pas passée inaperçue : le 10 juillet, après 13 minutes d'une intense bidding war organisée par une grande maison d'enchères, le sac Hermès original de l'actrice et chanteuse Jane Birkin (qui a donné son nom au modèle) a été adjugé pour la modique somme de 8,6 millions d’euros ! Le nouveau propriétaire, Shinsuke Sakimoto, ancien footballeur reconverti dans la revente d’articles de luxe avec sa société Valuence Japan, a déclaré que cette acquisition n'avait pas vocation à être un investissement financier, le fameux sac étant exposé pour son statut « d'héritage culturel global ». Mais au-delà de cet épiphénomène, le secteur du luxe, dont le segment le plus rentable est historiquement la catégorie des sacs à main et autres maroquineries a perdu de son lustre depuis maintenant plusieurs trimestres.


Malheureusement, la publication des résultats semestriels n’a pas révélé de changement de tendance pour le secteur. Le niveau de croissance des revenus reste impacté par la normalisation du comportement de la clientèle chinoise (locale et touristes) et la dichotomie entre luxe haut de gamme et aspirationnel est toujours de mise (Gucci -25% versus Hermès +9% au T2). De la même manière, la joaillerie reste globalement mieux orientée que la maroquinerie, preuve que les excès passés d'une stratégie prix décorrélée de la réalité du consommateur tardent à s'estomper. Face à cet environnement contrasté, les directions financières des entreprises du secteur découvrent les bienfaits du travail sur les coûts pour maintenir les marges à des niveaux respectables. La semaine dernière, LVMH a publié un trading statement faisant état d’une amélioration séquentielle des revenus de sa principale division Mode & Maroquinerie : -2% au troisième trimestre après -9% au deuxième.


Au-delà de l’orientation des résultats, une autre incertitude pesait sur le secteur : les tarifs douaniers. On connait désormais le niveau de taxe qui va être appliqué à cette industrie. Ces 15% vont probablement être supportés par les consommateurs américains, au moins pour les produits les plus désirables. C'est le cas chez Hermès, qui entend « compenser intégralement » ce surcoût selon son directeur financier, Éric Halgouët. Au niveau sectoriel, les analystes d' UBS estiment que les entreprises du secteur devront augmenter leurs prix d'environ 2% aux États-Unis pour compenser les effets tarifaires. Au-delà de cet ajustement « raisonnable » au regard de la clientèle concernée, la véritable question concerne le comportement des ménages américains aisés qui représentent 25% des ventes de cette industrie. Bonne nouvelle, l’effet richesse lié à la hausse de la bourse joue évidemment en faveur de la consommation ostentatoire à court terme, comme l’a souligné récemment Brunello Cucinelli qui constate une accélération séquentielle des ventes de la zone Amériques au troisième trimestre (+10% vs. +7% au T2).


À la suite de la sous-performance du secteur, celui-ci traite désormais avec une prime d'environ 50% par rapport au MSCI Europe (hors Hermès), sous sa moyenne de long terme (60% sur 15 ans). Au-delà de cet argument de valorisation, le positionnement des investisseurs a été ajusté : le secteur qui fut un temps considéré comme le pendant européen des Mag7, du fait de ses caractéristiques de croissance et de rentabilité, a vu les investisseurs capituler après plusieurs trimestres de révision à la baisse des perspectives de croissance. Selon Goldman Sachs , les investisseurs ne favorisent plus le secteur dans leurs allocations*.


Le relatif désintérêt des investisseurs ne décourage pas les industriels et leur penchant pour la consolidation. Une fois n'est pas coutume, celle-ci n'est pas à l'initiative des deux géants du luxe français que sont LVMH et Kering . En effet, c’est au sud des Alpes que la vague actuelle de concentration s'intensifie avec le rachat de Versace par le groupe Prada qui a déboursé pas moins de 1,4 milliard de dollars pour acquérir la marque à la méduse, précédemment détenue par l'américain Capri Holdings. Celui-ci en avait fait l'acquisition en 2018 pour un montant de 2,1 milliards de dollars. Cette opération devrait se traduire par des synergies de coûts (approvisionnement, marketing et logistique) qui impacteront positivement le compte de résultat de la nouvelle entité. Plus récemment, la disparition de Giorgio Armani a ouvert la voie à une possible cession de l'entreprise qui porte son nom. Le fondateur, qui avait l’habitude de tout contrôler, a listé les trois potentiels acheteurs de 15% du capital dans son testament : LVMH , L'Oréal et EssilorLuxottica .


Cette consolidation vient en contrepoint d’un autre phénomène : l'émergence d'acteurs du luxe chinois avec Laopou Gold comme fer de lance. Fondée en 2009 par un négociant du métal ductile, la société a dépassé le milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2024 (6 fois plus qu'en 2021) et a annoncé au premier trimestre une croissance de ses revenus de 251% ! Même si ses produits ne concurrencent pas directement les marques comme Cartier et Bulgari qui ont un positionnement prix plus élevé, le développement de cette entreprise devra être suivi avec attention, tout comme celui d'autres jeunes pousses comme Guo Fei (haute couture), Songmont (maroquinerie) ou Mao Geping (maquillage).


Lueur d'espoir dans le brouillard macroéconomique, la période juillet-août est potentiellement le premier trimestre positif depuis T4 2023 pour l’importation de sacs à main en cuir par la Chine**. Cette statistique n'a pas manqué de faire réagir boursièrement le secteur dont la croissance des revenus est largement corrélée à cet indicateur. De fait, une grande partie du retour à meilleure fortune boursière dépendra de la forme de la reprise dans l’Empire du Milieu. Ces consommateurs qui représentent environ un tiers des revenus du secteur ont entamé une mutation avec l'émergence de la génération 20-30 ans dont les comportements de consommation sont plus complexes et volatiles, comme le montre l’enthousiasme pour les figurines Labubu.


Au risque de simplifier la situation à outrance, avec le niveau d’épargne très élevé des ménages chinois***, une Golden Week encourageante et l’évolution de la bourse nationale depuis le début de l'année (+20% pour l’indice CSI300 en devise locale, au plus haut depuis 3 ans) stimulée par les initiatives du gouvernement, il est permis d'espérer…


* données de prime brokerage et long onlys ;

**+4% en cumulé pour juillet août ;

***35% contre 15% en Europe et 9% aux États-Unis.