Le cours de l’or et des actions aurifères a plongé. James Luke, gestionnaire de portefeuille senior pour les métaux chez Schroders , se penche sur les causes de cette situation et ses conséquences sur les perspectives de l’or.
![]() James Luke |
Les commentateurs se sont empressés de crier que l’or avait atteint un sommet, suggérant une similitude avec le mois de septembre 2011, lorsque l’or avait atteint un pic et entamé une longue chute de plus de 40 %. Luke ne voit aucune comparaison valable entre aujourd’hui et 2011. Il estime au contraire que les facteurs suivants sont à l’origine des reculs de ces derniers jours :
- La hausse constatée depuis la fin du mois d’août a été particulièrement prononcée, avec plus de 30 %. Il s’agit de la hausse la plus rapide de 1.000 dollars l’once jamais enregistrée, alors que le nombre d’investisseurs a augmenté. Selon Luke, une bulle se formait, sans toutefois atteindre un sommet.
- La hausse du cours de l’argent, due à une pénurie à Londres, a contribué à la hausse générale des métaux précieux. Cette hausse s’atténue désormais avec la reprise des livraisons à Londres et le cours de l’argent est à nouveau passé sous la barre des 50 dollars l’once.
- L’absence de données économiques américaines en raison de la paralysie budgétaire depuis le 1er octobre a ajouté à l’incertitude.
La vision de Schroders
Le marché a subi une correction naturelle dans le cadre d’un marché haussier pluriannuel. Schroders reste d’avis que ce marché haussier n’est pas comparable aux précédents concernant la taille et l’ampleur de la demande monétaire potentielle. Si, comme Luke le pense, il s’agit de l’Everest des marchés haussiers pour l’or, le marché n’est qu’au pied de la montagne et il reste encore une longue ascension avant d’atteindre le sommet.
Luke se pose toujours deux questions en tant qu’investisseur :
1. Les tendances budgétaires et géopolitiques pluriannuelles à l’origine de la demande d’or ont-elles été résolues et une « nouvelle normalité » a-t-elle émergé ?
Les « tendances géopolitiques » couvrent de nombreuses choses, mais elles incluent aussi le passage à une multipolarité dans l’ordre mondial des grandes puissances, outre les tensions actuelles entre les États-Unis et la Chine. Les « tendances budgétaires » englobent l’accroissement des dettes et des déficits dans de nombreuses grandes économies et l’évolution vers une dominance budgétaire. Luke estime que dans les deux cas, la réponse est « non » : ces tendances n’ont pas disparu.
L’incertitude entourant ces mégatendances a des répercussions sur la demande de couverture.
En outre, ces deux tendances - géopolitique et budgétaire - se renforcent mutuellement. Ainsi, l’ampleur de la réorganisation de la chaîne d’approvisionnement industrielle requise pour un découplage significatif avec la Chine se produira à un moment de marge de manœuvre budgétaire déjà extrêmement limitée. En ce qui concerne les monnaies, ces tendances constituent moins une menace pour le dollar en tant que tel que pour le statu quo général des monnaies fiduciaires.
2. La demande potentielle de sources de capitaux investissant dans l’or pour se protéger contre ces risques pluriannuels est-elle épuisée ?
Par « sources de capitaux », Luke entend les banques centrales, les investisseurs mondiaux et les ménages. Là encore, il estime que la réponse est « non ».
- Les réserves d’or des banques centrales des marchés émergents, exprimées en pourcentage des réserves totales, n’en représentent que 12 % après l’envolée du cours de l’or depuis le début de l’année.
- Les réserves des banques centrales des marchés développés dépassent les 45 %. La recherche continue de montrer une progression de la demande. Luke anticipe un soutien important à l’achat en cas de baisse de cours des métaux précieux.
- Les réserves de la Banque populaire de Chine s’élèvent à 7 % selon les données officielles. Luke doute que la demande officielle chinoise soit totalement épuisée pour diverses raisons stratégiques à long terme.
- Quant aux ménages chinois, ils continuent de considérer l’or comme le meilleur investissement pour les 12 prochains mois. Ils disposent encore de 23.000 milliards de dollars de dépôts auprès des banques commerciales.
- La demande dans d’autres pays, tels que l’Inde et le Japon, est restée solide même en dépit des cours élevés. Les réactions des banques de métaux précieux montrent que les clients indiens paient des primes qu’ils n’avaient pas vues depuis la chute brutale du cours de l’or en 2013, et que la demande de grandes barres en provenance du Japon a fortement augmenté. Le cours de l’or a baissé en 2013, lorsque la demande en Asie a progressé en réponse à la faiblesse des prix. Sur le marché actuel, la demande de gros lingots d’or est généralement soutenue, malgré des cours ayant atteint leur sommet historique ou s’en approchant.
- Les positions des fonds indiciels négociés en Bourse (ETF) en Occident restent inférieures au niveau le plus élevé de 2020 en onces (même si leur valeur nominale a connu une hausse rapide depuis 2020).
- Les allocations des investisseurs institutionnels dans l’or varient. Chez Schroders , l’équipe multiactifs fait partie des plus grands détenteurs en pourcentage moyen. De nombreux investisseurs ne détiennent pas d’or en portefeuille. Un passage rapide à des allocations telles que 60/20/20 (actions, obligations, or) ou 60/20/10/10 (actions, obligations, investissements alternatifs et or), comme le proposent certains grands investisseurs institutionnels, ne serait pas possible à court terme sans une forte hausse des cours.
Luke conclut qu’en l’absence de changements géopolitiques ou budgétaires significatifs, les avoirs en or dans les portefeuilles (y compris les bilans des banques centrales des marchés émergents, les portefeuilles des investisseurs ou les ménages) atteindront des niveaux plus élevés.
Il estime, point crucial, que le cours restera le moteur, et non les volumes achetés, en raison de l’écart considérable entre les actions et les titres à revenu fixe au niveau mondial et l’offre d’or disponible.
Quelles implications ont les récentes baisses du cours de l’or pour les sociétés minières aurifères ?
L’un des principaux attraits des sociétés minières aurifères dans ce marché haussier était leur marge bénéficiaire record. La récente baisse du cours de l’or change-t-elle la donne ? « Absolument pas », pense Luke.
Les marges actuelles se situent aux alentours de 2.000 dollars l’once sur la base du coût total. Ces marges ont culminé à 1.000 dollars l’once en 2020, et les cours des actions des sociétés minières aurifères sont aujourd’hui inférieurs (par rapport au prix de l’or) à ce qu’ils étaient à l’époque.
Le cours de l’or s’est établi en moyenne à 3.430 dollars l’once au troisième trimestre (contre 3.250 dollars l’once au deuxième trimestre) et les signes de nouvelle performance record se font déjà sentir. Pour le quatrième trimestre, il faudrait que le cours descende à 3.200 dollars l’once en moyenne pour obtenir une baisse par rapport au trimestre précédent.
Un recul du cours de l’or de cette ampleur - qui devrait être d’environ 20 % et se maintenir ensuite à ce niveau - n’est certainement pas impossible, mais Luke le considère comme très improbable.
Les prévisions consensuelles concernant le cours de l’or restent inférieures de 300 dollars l’once au prix au comptant en 2026 et de 1.000 dollars l’once en 2027, ce qui laisse une grande marge de manœuvre pour réviser à la hausse les attentes en matière de bénéfices. Les profils de production des producteurs sont généralement biaisés en faveur du second semestre 2025. Les analystes s’attendent dès lors à ce que le quatrième trimestre soit le meilleur. Luke s’attend donc à des flux de trésorerie disponibles records et à des rendements élevés.
En supposant l’absence d’incidence de cette phase de consolidation sur le marché haussier de l’or, ce qui est le scénario de base de Schroders , de nouvelles perturbations offriront un certain nombre d’opportunités très intéressantes.



