Navbar logo new
Les marchés de l'énergie dans tous leurs états
Calendar19 Dec 2025
Thème: Investir
Maison de fonds: DNCA Investments

Pierre Pincemaille, Secrétaire général de la Gestion DNCA Investments.


Lors d’un discours à la nation datant de juillet 1979, le Président américain Jimmy Carter avait déclaré que « notre schiste contient à lui seul plus de pétrole que plusieurs Arabies Saoudites ». Au regard des projections de l'Agence internationale de l'énergie, il semble qu’il ne soit pas nécessaire de faire sortir ces barils de terre, tant le déséquilibre offre-demande* se fait sentir via le gonflement des stocks. Et avec un cours du baril américain à 60 $** (WTI), les producteurs locaux n'ont de toute façon aucune stimulation prix pour se conformer à l'invective de leur Président (« drill baby drill »).


Cette sagesse du prix du baril, couplée à un reflux des prix du gaz a des impacts variés. Pour l'Europe qui est importatrice nette de produits pétroliers, c’est indéniablement une bonne nouvelle. La tendance récente redonne du pouvoir d’achat aux ménages et allège la facture énergétique des industriels. Cette baisse aura également un impact baissier sur l’inflation de la zone, même si la BCE se focalise sur la tendance sous-jacente (hors éléments volatils).


Pour les États-Unis, même si l'effet macroéconomique est moins clair au regard de leurs exportations pétrolières et surtout gazières, cet ajustement des cours rentre dans une logique plus large de prix « administrés » alors que les élections de mi-mandat se profilent à l'horizon. Avec un taux d’approbation concernant les actions économiques du Président au plus bas (42%), celui-ci voit sans doute cette baisse, et par effet de ricoché, celle du gallon d'essence comme une aubaine. Dans la même logique, l'administration en place a engagé des négociations avec les industriels du secteur pharmaceutique pour réduire les prix des médicaments. Une extrapolation de cette méthode amène naturellement à s'interroger quant aux risques d'interventionnisme auprès des services aux collectivités, pour juguler la facture énergétique des ménages américains.


Sous l'impulsion des hyperscalers et leurs jumbos CapEx alloués aux centres de données, la consommation électrique de ces nouvelles infrastructures dédiées à l'IA devrait être équivalente à vingt fois celle de New York d’ici à 2030 selon Nema***. Face à cette soudaine reprise de la croissance de la demande énergétique, après vingt ans de stagnation, les opérateurs du réseau électrique américain vieillissant vont devoir investir massivement dans des câbles et autres sous-stations. Résultat, la filiale d’Iberdrola a demandé une hausse de 23 % de ses prix de vente dans l’Etat de New York pour financer cette vague d’investissement.


Autre effet de bord de la révolution de l'IA en cours, l'industrie nucléaire américaine voit sa renaissance potentiellement remise en cause par un « simple » problème d'approvisionnement. En effet, l’Association nucléaire mondiale constate qu'en 2024, la demande d'uranium a déjà dépassé l'offre de 12% (compensation par les stocks et l'offre secondaire) et prévoit une croissance de la demande de 30% à horizon 2030 (à 86kt) et 150kt en 2040. Face à ce nouveau paradigme industriel, le temps entre la découverte et la mise en production d'une nouvelle ligne (minimum 10 ans) ainsi que le taux de déclin des mines existantes font craindre une situation de déficit à moyen terme.


En amont des consommateurs qui bénéficient de tarifs à la pompe plus attractifs, l’industrie pétrolière subit de plein fouet la baisse des prix comme le montrent les publications du troisième trimestre (-10% des bpa y/y en Europe). Face à la décrue des flux de trésorerie, les directions des majors n’ont d'autre choix que de réduire le retour à leurs actionnaires avec des rachats d'actions moins généreux. Certains d'entre eux en profitent également pour tailler dans leurs dépenses de transition. À leur décharge, l'environnement réglementaire ne cesse d'évoluer comme en attestent les décisions de l’administration américaine concernant l'éolien. Résultat, un énième ajustement de survaleur chez Orsted, ancienne coqueluche danoise des investisseurs, dont le cours est en baisse de 25% cette année et de 80% depuis le plus haut datant de janvier 2021.


Plus au sud de l'Europe, les conclusions du rapport gouvernemental relatif au blackout qu'a subi la péninsule ibérique ne concluent pas que l'énergie solaire soit à l’origine de la série de surtensions dans le réseau qui a provoqué la déconnexion automatique de plusieurs capacités de génération. Au-delà des considérations politiques, l'opérateur du réseau Red Electrica a récemment averti du risque d'un nouvel événement de coupure massive et a demandé en urgence au régulateur l'autorisation de changer ses procédures opérationnelles, de manière à mieux gérer les potentielles surtensions. En attendant de trouver la martingale énergétique, l’opérateur a systématiquement recours depuis cet incident à des turbines à gaz pour stabiliser le système.


En septembre la Commission européenne a organisé une conférence avec Mario Draghi, un an après la remise de son fameux rapport sur la compétitivité européenne. Il a rappelé que la politique énergétique est la colonne vertébrale de l'économie. À ce titre, la baisse des prix de l'énergie est incontestablement une bonne nouvelle pour l'Europe, mais ne doit en aucun cas détourner les décideurs des efforts indispensables pour améliorer la compétitivité de l'industrie locale qui opère dans un monde de plus en plus polarisé…


*L’Agence anticipe un surplus de 4,1mbj en 2026 ;

**-17% depuis le début de l'année, en bas des classements toutes classes d'actifs confondues ;

***Lobby américain des fabricants de matériel électrique.