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La BCE à la rescousse : Vers un « Quoi qu'il en coûte 2.0>
Calendar11 Mar 2020
Thème: Fixed Income
Maison de fonds: M&G Investments

Par Wolfgang Bauer , Fixed Income Fund Manager chez M&G

Tous les projecteurs sont désormais braqués sur Christine Lagarde, les investisseurs attendant avec fébrilité ses déclarations à l'issue de la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE ce jeudi. D'après moi, trois possibilités s'offrent à la BCE cette semaine : opter pour le statu quo, réagir avec modération ou sortir l’artillerie lourde.

Possibilité n°1 : opter pour le statu quo

Dans ce scénario, la BCE prend simplement acte de l'accentuation des risques qui pèsent sur l’économie et l'inflation à moyen terme dans la zone euro en raison du COVID-19 mais ne modifie pas sa politique monétaire, qui est déjà très accommodante.

Même s'il pourrait y avoir des raisons valables d’opter pour le statu quo, je doute que ce soit un scénario plausible.

  • Premièrement, les participants au marché attendent beaucoup de la BCE. Néanmoins, si elle opte pour le statu quo, cela pourrait alimenter de nouvelles turbulences sur les marchés financiers, ce que la BCE préférera sans doute éviter.
  • Deuxièmement, alors que d'autres banques centrales (Fed, Banque de Réserve d'Australie, Banque du Canada) ont décidé de baisser leurs taux en réaction au COVID-19, la BCE pourrait rapidement faire figure de « vilain petit canard » si jamais elle laisse ses taux inchangés, au risque d'accentuer la pression haussière sur l'euro. La monnaie unique s'est déjà appréciée d'environ 6 % face au dollar américain depuis la mi-février. Une poursuite de l'appréciation de l'euro constituerait un frein supplémentaire pour les entreprises exportatrices européennes et pour l'économie de la zone euro dans son ensemble, qui souffre déjà du fléchissement de la demande et de la perturbation des chaînes d'approvisionnement engendrés par le COVID-19.

    Possibilité n°2 : réagir avec modération

    Dans ce scénario, la BCE procéderait à une modeste baisse de ses taux d'intérêt, de l'ordre de 10 points de base (pb). Le taux de sa facilité de dépôt tomberait ainsi à -0,6 %, un nouveau plus bas historique. Dans le même temps, l'enveloppe mensuelle consacrée à ses achats d'actifs serait portée à 60, voire 80 milliards d'euros, soit une multiplication par trois ou quatre par rapport à son niveau actuel de 20 milliards d'euros. Néanmoins, la BCE ne s’aventurerait pas pour autant en terrain inconnu : elle a déjà consacré par le passé 60 milliards d'euros par mois à ses achats d'actifs (entre mars 2015 et mars 2016 et d'avril à décembre 2017), et même 80 milliards (entre avril 2016 et mars 2017).

    Je dirais qu'il s'agit peut-être du scénario le plus plausible, mais sans doute le moins souhaitable. Le danger est que la BCE obtienne à la fois la peste et le choléra. Une réaction modérée de la BCE, si elle ne s'accompagne pas d'une relance budgétaire substantielle, ne suffira sans doute pas à rétablir durablement la confiance sur les marchés, qui ont accueilli dans l'indifférence la baisse des taux de 50 points de base annoncée par la Fed. L'aversion au risque pourrait fort bien aboutir à une véritable crise des marchés. Par ailleurs, en utilisant une partie de ses munitions, la BCE aurait réduit sa marge de manœuvre à l'avenir si jamais l'impact économique de l'épidémie de COVID-19 s'avère plus important que prévu à l'heure actuelle.

    Possibilité n°3 : sortir l’artillerie lourde

    L'idée ici serait de créer un autre moment « Quoi qu'il en coûte » pour calmer immédiatement les marchés et éviter une véritable panique dans les rangs des investisseurs qui serait susceptible de compromettre la stabilité du système financier et, au bout du compte, de menacer l'économie réelle. Dans ce scénario, la BCE prendrait des mesures audacieuses, aussi bien en matière de taux d'intérêt que d'achats d'actifs. Elle baisserait le taux de sa facilité de dépôt d'au moins 25 pb, à -0,75 %, soit au même niveau que le taux directeur de la Banque nationale suisse. De plus, elle porterait ses achats d'actifs à plus de 80 milliards de dollars par mois, voire 100 milliards. Mais surtout, pour signifier aux participants au marché qu'elle peut encore augmenter sa force de frappe à l'avenir si nécessaire, certaines modifications des règles de l’APP pourraient s'avérer nécessaires, car elles permetrraient à la BCE d’acheter en priorité des BTP italiens, dont l’encours est très important, et aussi d’acheter des obligations émises par des banques.

    Aussi séduisante soit-elle, cette stratégie offensive est très risquée. Si jamais la BCE parvient à éviter une véritable crise (des marchés et de l’économie réelle) en prenant d’emblée des mesures fortes, Christine Lagarde accéderait immédiatement au rang de superstar parmi les banquiers centraux. Toutefois, si elle ne s’accompagne pas d’un assouplissement budgétaire concerté, la stratégie de l’artillerie lourde pourrait bien se traduire par un retour de flammes. Si les mesures n'ont pas l'effet escompté, que les marchés poursuivent leur dégringolade et que la transmission de la relance monétaire à l'économie réelle échoue, la BCE ne pourrait pas faire grand-chose de plus à l'avenir. Les marchés réaliseraient alors que la BCE et d'autres banques centrales ne savent plus quoi faire.

    Entre le marteau et l'enclume

    En résumé, Christine Lagarde est dans une situation qui n'a rien d'enviable cette semaine car la BCE est prise entre le marteau et l'enclume. Si elle reste passive ou prend des mesures trop timides, cela risque de déstabiliser davantage les marchés, qui pourraient alors entrer dans une spirale négative, avec à la clé une véritable crise des marchés financiers et de l'économie réelle. Toutefois, si elle sort dès maintenant l'artillerie lourde pour stimuler l'économie et remonter le moral des investisseurs, sa marge de manœuvre risque d'être limitée par la suite. La route s'annonce périlleuse pour les investisseurs. Dans la mesure où aucun choix évident ne s'offre à la BCE (ni aux autres banques centrales), il serait risqué de parier sur telle ou telle orientation de politique monétaire.