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Interview du mois - Didier Bouvignies (Rothschild & Co AM Europe) : "Les marchés intègrent déjà un conflit qui va se prolonger"
Calendar17 Mar 2022
Maison de fonds: Rothschild & Co
D bouvignie

L’environnement actuel est particulièrement indécis. Didier Bouvignies (Directeur de la gestion chez Rothschild & Co Asset Management Europe) estime qu’il est toutefois prématuré de parler de stagflation, un climat qui serait négatif pour la plupart des grandes classes d’actifs.

Après la pandémie de coronavirus, l’actualité des marchés financiers est mobilisée depuis plusieurs semaines par l’impact de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Nous avons interrogé Didier Bouvignies, directeur de la gestion chez Rothschild & Co Asset Management Europe, pour qu’il nous livre ses impressions au vu de sa longue expérience sur les marchés financiers.

Comment analysez-vous la situation actuelle ?

Didier Bouvignies : « Il y a six mois, le marché demandait aux financiers d’être épidémiologistes. Aujourd’hui, il nous demande d’être des spécialistes dans les affaires militaires. C’est une situation inconfortable d’être dans des crises qui ne sont pas fondamentalement des crises économiques. Le cycle obéissait auparavant à certaines lois liées à la nature humaine. Les agents économiques ont tendance à s’emballer lorsque les choses vont bien et à déprimer lorsque l’environnement se dégrade, avec les banques centrales pour réguler en baissant les taux pour relancer l’activité ou les augmentant lorsqu’il y avait trop d’exubérance. Nous sommes aujourd’hui dans un contexte totalement différent avec des crises exogènes sur lesquelles nous n’avons pas beaucoup de prise ».

Quel est l’impact de la crise géopolitique actuelle ?

D.B. : « La situation économique en Europe est liée à ce qui se passe en Ukraine, mais pas en raison de la taille de l’économie russe ou des risques sur la stabilité du système financier européen. La Russie est en effet une économie à peine plus grande que l’Espagne, et l’exposition des banques européennes sur le marché obligataire russe est faible, et n’a aucune mesure avec l’exposition qu’elles avaient en 1998 lors de la précédente crise sur la dette russe. En revanche, l’Europe va être lourdement impactée par la hausse des prix de l’énergie, car les importations en provenance de Russie sont particulièrement importantes pour des pays comme l’Allemagne ou la Pologne ».

Quel est le principal risque pour les marchés ?

D.B. : « L’impact économique sera d’autant plus important pour les économies européennes que les belligérants vont prendre du temps à venir à la table de négociation. Un autre risque pourrait également venir d’une forte baisse des importations de pétrole et de gaz en provenance de la Russie, voire d’une coupure des pipelines qui traversent l’Ukraine. Si l’impact au niveau mondial devrait en définitive rester limité, l’Europe va être davantage affectée. Mais à l’heure actuelle, les indicateurs économiques continuent de pointer vers une accélération économique plutôt que vers un ralentissement, même si le pouvoir d’achat des ménages subit actuellement un prélèvement significatif ».

Dans ce contexte, les marchés ont relativement bien résisté…

D.B. : « Il n’y a pas encore de panique provoquée par cette crise géopolitique, même s’il y a une divergence de performance intense entre l’Europe et les Etats-Unis. Les actions européennes ont fait face à des retraits historiquement importants et concentrés sur les valeurs financières et cycliques. Et dans le même temps, les marchés obligataires sont également sous pression en raison de la hausse des anticipations inflationnistes, avec un taux réel qui bat des records en territoire négatif. Au niveau obligataire, la hausse des différentiels de taux sur le haut rendement européen est conforme à l’idée que les marchés anticipent l’arrivée d’un environnement de stagflation, un contexte très défavorable pour la plupart des grandes classes d’actifs, caractérisé par une croissance faible accompagnée d’une inflation rapide. Je suis toutefois convaincu que nous ne sommes pas encore dans ce cas de figure, mais le prolongement du conflit pourrait déboucher sur un environnement plus négatif ».

Il y a trop de pessimisme ?

D.B. : « Les niveaux de valorisation sont retombés sur des niveaux très bas. Les corrections boursières causées par des événements géopolitiques ont toutefois tendance à n’impacter que temporairement le niveau des cours, et la forte baisse des actions européennes intègre déjà un conflit qui va se prolonger et qui va impacter fortement la croissance. Toutefois nouvelle positive va donc être accueillie favorablement par les marchés boursiers. ».

Où se trouvent les opportunités dans le marché actuel ?

D.B. : « Le début d’année avait été favorable pour nos portefeuilles, avec un positionnement qui privilégiait la normalisation des politiques monétaires, avec des durations faibles au niveau obligataire ; et des actions cycliques et financières en actions. Il nous semble qu’il est aujourd’hui trop tard pour jouer plus franchement la carte des actions américaines dans nos portefeuilles, et nous sommes aujourd’hui plutôt dans l’idée de relever notre exposition sur les marchés européens, où le potentiel de rebond est beaucoup plus important. Nous n’avons toutefois pas encore dégainé ».