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ESGnomics : L'importance insoupçonnée de la biodiversité
Calendar22 Nov 2022
Thème: ESG
Maison de fonds: Rothschild & Co

Marc-Antoine Collard, Chef Economiste & Responsable de la recherche Rothschild & Co Asset Management.

Bien que le déclin de la biodiversité soit encore relativement méconnu, il représente un défi crucial à travers ses conséquences sur la croissance, les prix, l'emploi, ainsi que sur les risques portant sur la stabilité financière. Ainsi, l'adoption d'un cadre mondial mettant fin à l’extinction de la biodiversité semble nécessaire afin de garantir notre survie ainsi que celle de la planète.

Un déclin précipité de la biodiversité en raison des activités humaines

La biodiversité joue un rôle prépondérant par les bénéfices, ou services, qu'elle procure au système socio-économique. Ceux-ci sont essentiellement au nombre de trois : (i) l'approvisionnement en ressources, tels que la nourriture, le carburant et l'eau potable ; (ii) la régulation des écosystèmes, par la pollinisation, la stabilité du climat, la qualité de l'air et le contrôle de l'érosion ; et (iii) l’attractivité tel que le tourisme. Valoriser ces bénéfices reste une tâche complexe, mais une étude parue en 2014 les estime à 125 000 milliards de dollars par an, soit environ 1,5 fois le PIB mondial de cette année(1). À titre d’exemples, la pollinisation représente à elle seule entre 235 et 577 milliards de dollars dans la production alimentaire mondiale annuelle et les récifs coralliens génèrent près de 40 milliards de dollars à travers l’écotourisme(2).

Or, la dégradation de l’environnement survenue au cours des 50 dernières années a été d’une ampleur inédite dans l'histoire de l'humanité(3). L’activité humaine a transformé la majorité des écosystèmes de la planète, abîmant et détruisant les habitats terrestres et aquatiques en s’accaparant les précieuses ressources qu'ils contiennent.

À l'échelle mondiale, cinq grands facteurs expliquent cette tendance : l’utilisation excessive des terres et des mers, l'exploitation directe des organismes, le changement climatique, la pollution et l’introduction d'espèces exotiques envahissantes. Pour faire face à ce problème, les gouvernements du monde entier se réuniront en décembre 2022 à Montréal, au Canada, et tenteront de se mettre d'accord sur une nouvelle série d'objectifs pour guider l'action mondiale jusqu'en 2030 afin d’arrêter l’érosion de la biodiversité. En effet, cette dernière pourrait devenir la cause de dommages importants à l’avenir.

La perte de la biodiversité est une source de risques socioéconomiques…

Toutes les entreprises dépendent des services écosystémiques – l'air pur, l'eau douce, des sols fertiles et un climat stable – à des degrés divers. Parallèlement, les entreprises ont des impacts sur les systèmes qui fournissent ces services. Or, malgré leur contribution inestimable à la société, la majorité des services écosystémiques ne sont pas tarifés car ce sont des biens publics, entraînant des externalités. En conséquence, les producteurs et les consommateurs ne disposent pas d'incitations économiques suffisantes pour conserver, utiliser durablement et restaurer la biodiversité.

Ainsi, les risques posés par la disparition de la biodiversité sont significatifs pour les sociétés humaines et s’ajoutent à ceux du changement climatique. Par exemple, la détérioration des écosystèmes aggraverait fortement le changement climatique en libérant dans l’atmosphère le carbone autrefois capturé. La déforestation est ainsi l’une des causes majeures d'émissions de gaz à effet de serre et les océans, qui sont également des réservoirs importants de dioxyde de carbone (CO2), jouent un rôle crucial dans la régulation du climat par leur circulation thermohaline.

La pêche non durable est une autre menace de taille pour les écosystèmes marins avec plus de 30% des stocks de poissons actuellement en surpêche(4). S’y ajoutent en outre la diminution des rendements agricoles, une moindre qualité de l'eau et de l'air, ainsi que la hausse de la fréquence et de l’intensité des inondations et des incendies, qui mettent globalement l’humanité en réel danger(5). Ces effets sont également appelés à s'amplifier, et de nombreux autres impacts indirects difficiles à mesurer pourraient entrer en jeu.

En outre, la course au développement a renforcé les interactions entre humains et animaux, alimentant le risque d’émergence de maladies comme la Covid-19. Selon un récent rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement, on estime qu'environ 60% des infections humaines ont une origine animale(6). Ainsi, les scientifiques avertissent que les futures pandémies seront probablement plus fréquentes et virulentes, et donc plus dévastatrices pour l'économie mondiale.

Enfin, bien que les effets sur la biodiversité soient souvent très localisés, ils peuvent aisément se diffuser à plusieurs pays, en perturbant les chaînes de valeur mondiales et le commerce international. Ils peuvent même entraîner des risques géopolitiques, notamment par le biais des migrations et des conflits.

…et financiers

Par ailleurs, la perte de la biodiversité pourrait présenter des risques pour le système financier par le biais de boucles de rétroaction et d'externalités complexes, bien que le chiffrage de ces risques soit une tâche délicate pour plusieurs raisons. D’abord, alors qu’une unité commune a été retenue pour mesurer les effets du changement climatique (la tonne d'équivalent CO2), l’analyse de la biodiversité peut difficilement se réduire à un indicateur unique. Ensuite, s'il existe un consensus sur les niveaux critiques permettant d’éviter des catastrophes écologiques irréversibles, il est difficile de déterminer où ils se situent pour la biodiversité(7).

Pour autant, tout comme ceux liés au climat, les risques financiers liés à la biodiversité peuvent être classés en deux catégories : les risques physiques et de transition. Pour les premiers, les chercheurs tentent de mesurer les dépendances des entreprises à l'égard de l'un des trois services écosystémiques : plus l’activité d'une entreprise dépend de ces services, plus la probabilité que sa production soit affectée si la fourniture de ces services est perturbée est élevée. À cet égard, une étude de la Banque de France(8) a révélé que plus de 40% de la valeur des titres détenus à la fin de 2019 par les institutions financières françaises provenaient d'émetteurs fortement ou très fortement dépendants d'au moins un des trois services écosystémiques, corroborant les résultats obtenus dans une analyse similaire du système financier des Pays-Bas.

Parallèlement, la réglementation, les litiges juridiques et l'évolution des préférences des consommateurs sur la protection de la biodiversité et des écosystèmes peuvent se traduire par des risques de transition pour les institutions financières directement ou indirectement exposées aux entreprises à l’origine de ces impacts.

La dégradation des écosystèmes peut donc générer des pertes et des perturbations potentiellement graves pour l'activité économique. Entre 1997 et 2011, le monde a perdu, selon les estimations, entre 4 et 20 milliards de dollars par an(9) en services écosystémiques en raison du changement d’affectation des terres et de 6 à 11 milliards de dollars par an en raison de la dégradation des sols. Par conséquent, il convient d'intensifier les mesures visant à stopper l’érosion de la biodiversité, surtout qu’elles sont fondamentales pour assurer la sécurité alimentaire, réduire la pauvreté et tendre vers un développement plus inclusif et équitable.

(1) Costanza R., de Groot R., Sutton P. et al., “Changes in the global value of ecosystem services”, Global Environmental Change, Vol. 26, ScienceDirect, 2014
(2) OCDE, “Biodiversity: Finance and the economic and business case for action”, 2019
(3) IPBES, “Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services”, 2019
(4) ONUAA, “The State of World Fisheries and Aquaculture: Meeting the Sustainable Development Goal”, 2018
(5) Banque de France, “Biodiversity loss and financial stability: a new frontier for central banks and financial supervisors?”, 2021
(6) United Nations Environment Programme and International Livestock Research Institute, “Preventing the Next Pandemic: Zoonotic diseases and how to break the chain of transmission”, 2020
(7) Hillebrand H., Donohue I., Harpole W. S. et al., “Thresholds for ecological responses to global change do not emerge from empirical data”, Nature Ecology & Evolution, Vol. 4, No. 11, 2020
(8) Svartzman R. et al., “A ’Silent Spring’ for the Financial System? Exploring Biodiversity-Related Financial Risks in France”, Working Paper, No. 826, Banque de France, 2021
(9) OCDE, op. cit.