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Marchés chinois : la prudence reste de mise
Calendar20 Feb 2023
Thème: Chine
Maison de fonds: Lazard

Par James Donald, Responsable des Marchés Emergents chez Lazard Asset Management

James donald
James Donald
Au cours des 24 derniers mois, l'indice MSCI China a connu des fluctuations spectaculaires à la hausse comme à la baisse, avec une chute en 2021 suivie d’une reprise en début d’année 2023. Ces mouvements extrêmes créent de nombreuses incertitudes pour les investisseurs.

Le marché actions chinois fluctue souvent au gré des évolutions politiques. Le rebond que nous observons actuellement résulte principalement de l’abandon de la politique stricte de zéro-Covid mise en place par les autorités chinoises en 2020, laquelle a freiné la croissance économique de la Chine.

Aujourd’hui, la volatilité du marché chinois découle principalement des récentes évolutions au sommet de l’État. Le troisième mandat du président Xi Jinping, annoncé lors du 20e Congrès du Parti communiste fin 2022, s'est accompagné d'un important remaniement au sein de la direction du parti : Xi Jinping est désormais entouré d'une équipe de fidèles triés sur le volet, sans successeur en vue, ce qui permet de mettre en place certaines initiatives, comme le programme de « prospérité commune » dont l’objectif est essentiellement social : faire passer plus de 300 millions de personnes de la catégorie des bas revenus vers la classe moyenne à horizon 2035, en redistribuant les richesses. Cet objectif se traduit également dans le monde des affaires en retirant du pouvoir aux grandes entreprises pour faire en sorte que les sociétés de toutes tailles soient en mesure de rivaliser, et exercer un contrôle sur les activités n’allant pas dans le sens du bien commun.

Ces changements ont des répercussions importantes pour les grandes entreprises du pays. Après la suspension de l'introduction en bourse d'Ant Financial en 2020, le gouvernement chinois a annoncé une série de réformes visant à affaiblir les entreprises qu'il jugeait trop puissantes, en leur infligeant des amendes, en les contraignant à faire des dons à des organismes de bienfaisance, ou les deux à la fois. Les deux plus grandes entreprises chinoises, Tencent et Alibaba , ont été particulièrement touchées par les mesures réglementaires imposées en 2021 et 2022. Et comme elles représentent respectivement 12% et 8,1% de l'indice MSCI China, la baisse du cours de ces entreprises s'est répercutée sur l'ensemble du marché.

Fin 2022, la part de la Chine dans l'indice MSCI Emerging Markets s'établissait à 30 %, soit environ 15 points de moins qu’en 2021, et le marché actions chinois a enregistré sa pire performance depuis la crise financière mondiale de 2008, avec une baisse d’environ 50 % par rapport à son pic de février 2021.

Des impacts divergents sur les entreprises

L’ampleur et la rapidité de l’interventionnisme chinois inquiètent naturellement les investisseurs, notamment ceux qui en subissent déjà les conséquences. Bien avant que Xi Jinping ne décide de briguer son troisième mandat, la limitation imposée par le gouvernement du temps passé devant les écrans par les enfants a fortement pénalisé la clientèle de l'industrie chinoise des jeux vidéo, qui était en forte croissance. Aussi, les mesures visant à baisser les prix des médicaments ont affecté la rentabilité des grandes entreprises pharmaceutiques.

Il est cependant important de noter que la « prospérité commune » n'impacte pas toutes les entreprises de la même manière, car celles qui sont en faveur de ce programme seront probablement soutenues par le gouvernement chinois et verront ainsi leur croissance s’accélérer.

En 2021, les autorités chinoises avaient imposé certaines mesures aux grandes entreprises technologiques, ce qui a impacté fortement leur cours de bourse. Aujourd’hui, ces mêmes mesures qui visent essentiellement à réduire le pouvoir des grandes entreprises contribuent à aider les plus petites. Prenons l'exemple du commerce électronique dans le secteur technologique. Les grandes plateformes du e-commerce étaient autrefois en mesure d'empêcher les petits commerçants d'ouvrir des magasins sur les plates-formes concurrentes, et pouvaient leur facturer des frais élevés pour acquérir de nouveaux clients. Grâce aux récents changements réglementaires, ces petites entreprises ont pu gagner en autonomie et accélérer leur croissance.

Le nombre de nouveaux commerçants sur les petites plateformes destinées aux clients des villes moyennes a ainsi augmenté, de même que les entreprises de l’écosystème du e-commerce : paiements en ligne, outils de gestion de la relation client (CRM), etc. Dans le secteur de santé, la baisse des prix des médicaments a profité aux revendeurs.

L’importance de l’analyse fondamentale

Les entreprises chinoises, représentées par l’indice MSCI China, se négocient à un ratio prix/bénéfices (PER) à un an similaire à celui de l’indice MSCI EM, à savoir entre 11x et 12x. Toutefois, les rendements des dividendes en Chine ont été inférieurs à ceux des autres marchés émergents, tout comme les rendements des flux de trésorerie disponibles, et de nombreuses sociétés chinoises affichent un ROE faible. Or, il s’agit de l’un des indicateurs les plus importants que nous utilisons pour évaluer le potentiel de croissance à long terme des marchés.

Pour autant, l’approche d’investissement top-down ne reflète pas tout, c’est pourquoi nous sommes convaincus de la nécessité d’évaluer les opportunités d’investissement potentielles sur une base bottom-up, titre par titre. Dans le cadre de cette approche, nous examinons les états financiers de l’entreprise ciblée, procédons à une analyse fondamentale afin de prévoir le potentiel de hausse sur une période de trois ans, et prenons en compte les risques politiques, macroéconomiques ou environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) auxquels l’entreprise pourrait être confrontée.

Dans le cadre de notre stratégie d'investissement sur les marchés émergents, nous pensons que la Chine reste un marché extrêmement porteur et important. Avec 1,4 milliard d'habitants, il s’agit du pays le plus peuplé au monde, avec une classe moyenne qui connaît la croissance la plus rapide au monde. A ce titre, l’un des objectifs principaux du programme de « prospérité commune » est d’accompagner ces tendances structurelles, notamment en doublant les dépenses allouées à l’enseignement supérieur de 2012 à 2021, pour avoir un nombre plus élevé de diplômés en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques qu’aux Etats-Unis.

Des risques non négligeables

Il est toutefois essentiel de noter que des risques importants subsistent. La crise de l’immobilier chinois n’est pas encore terminée et la Chine a décidé de céder sur la politique des « trois lignes rouges », qui visait à limiter l’endettement dans le secteur immobilier suite à la vague de défauts, aux problèmes de liquidité rencontrés par les promoteurs et au ralentissement des ventes de logements.

Sur le plan géopolitique, les tensions avec Hong Kong et Taïwan persistent et nous pensons qu’une réunification forcée avec Taïwan pourrait avoir des conséquences très graves : les chaînes d’approvisionnement taïwanaises seraient perturbées ; la Chine serait probablement soumise à des sanctions sévères de la part des pays occidentaux, avec la possibilité d’une riposte militaire menée par les États-Unis. Une telle situation pourrait conduire à une récession, et les marchés actions mondiaux en subiraient les conséquences.

Dans ce contexte politique, social et économique en constante évolution, nous pensons que les investisseurs doivent faire preuve de prudence. Au sein de nos portefeuilles, nous avons identifié des opportunités d’investissement, notamment dans les secteurs des biens de consommation de base, de la santé, des services aux collectivités, des technologies de l’information et de la consommation cyclique. Pour l’heure, nous restons néanmoins sélectifs et vigilants, d’autant plus qu’il existe des opportunités plus intéressantes selon nous dans les autres pays émergents.