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INTERVIEW DU MOIS : Tomasz Godziek
Calendar30 Mar 2023

« L’IA est une opportunité pour plusieurs décennies »


Tomasz Godziek est responsable des stratégies actions thématiques chez Bank J. Safra Sarasin. Après avoir commencé sa carrière chez Dow Jones et STOXX dans le domaine la conception d’indices, il a rejoint en 2014 Bank J. Safra Sarasin pour combiner les processus de gestion quantitatifs et durables dans le domaine technologique, avant de lancer son propre fonds de placement spécialisé dans la disruption technologique. Nous avons eu récemment l’opportunité de nous entretenir avec lui afin d’évoquer les perspectives du secteur après un exercice 2022 qui fut relativement difficile à négocier pour les valeurs technologiques.

Bonjour Tomasz. Est-ce que vous pourriez mettre en avant les principales différences qui existent entre votre stratégie et les autres fonds technologiques ?

Tomasz Godziek : « La principale différence est que nous n’avons pas de thème fixe dans notre stratégie, car nous voulons être en mesure de capturer l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur. Nous recherchons des sociétés qui bénéficient d’avantages concurrentiels importants et qui peuvent se prévaloir d’importantes barrières à l’entrée. Nous recherchons également des modèles d’entreprises qui sont en mesure de générer un rythme de croissance plus rapide que ceux des sociétés concurrentes».

Pouvez-vous donner un exemple ?

T.G. : « Dans le secteur de la robotique, il est bien entendu possible d’acheter la société qui va produire le plus grand nombre de robots. Si vous regarder toutefois attentivement la chaîne de valeur, vous constatez assez rapidement que ce qui différencie les robots, c’est la vision en trois dimensions. Les sociétés exposées à des segments spécifiques, tels que les capteurs ou les systèmes de visualisation ont des perspectives de croissance beaucoup plus importantes que le reste de ce segment ».

Comment sélectionnez-vous les actions qui entrent dans la composition du portefeuille ?

T.G. : « J’ai réalisé une partie de ma carrière dans la programmation informatique et la science des données, et j’applique donc un processus de sélection bottom-up qui va me permettre d’utiliser ces connaissances afin d’améliorer la sélection de titres. Nous partons toutefois d’une analyse top-down visant à identifier les thématiques attrayantes sur lesquelles nous voulons être exposés. Il est important de pouvoir déterminer quelles tendances ont atteint un point d’inflexion, lesquelles sont appelées à croître rapidement dans le futur, et quelle est la taille de l’opportunité ».

Et il faut ensuite sélectionner les entreprises qui vont en bénéficier le plus ?

T.G. : « Exactement. Prenez par exemple la thématique des véhicules électriques. Il faut se demander quelles sont les sociétés qui vont bénéficier le plus de cette tendance. Il faut tout d’abord se rendre compte qu’à terme, ces voitures vont probablement se révéler moins chères à construire que les voitures dotées d’une motorisation thermique, tout simplement parce que les véhicules électriques nécessitent moins de pièces détachées, de câbles ou de pièces mécaniques. En parallèle, les véhicules électriques nécessiteront 2 à 3 fois plus de semi-conducteurs selon les estimations. Il va donc y avoir des entreprises qui devront innover pour rester pertinentes, tandis que les sociétés qui produisent des semi-conducteurs vont être au cœur de la croissance des véhicules électriques, et vont être en mesure d’augmenter leurs prix ».

Comment déterminez-vous le poids des positions dans votre stratégie ?

T.G. : . « Le principal objectif de notre processus de construction de portefeuille est d’optimiser l’expertise du gérant de portefeuille en matière de sélection de titres. Par conséquent, le niveau de conviction du gérant et les facteurs dont il découle, à l’instar du positionnement de l'entreprise dans la chaîne de valeur, des barrières à l'entrée, ou des catalyseurs à venir, sont des considérations importantes pour déterminer le poids des positions. En parallèle, la pondération des titres intègre nos principes de gestion du risque. Ainsi, nous mesurons l'impact de chaque position sur l’exposition thématique globale du portefeuille et sur un éventuel biais de style. Enfin, la volatilité d'une position est bien sûr une considération importante ».

Sur quels segments du marché le portefeuille est-il exposé ?

T.G. : « JSS Sustainable Equity - Tech Disruptors est un fonds qui peut être caractérisé comme étant de la famille des fonds Deep Tech. Nous sommes sous-pondérés sur des sociétés comme Snapchat ou Pinterest, qui sont davantage liées au secteur de la consommation. Par contre, nous allons être fortement exposés sur le développement du cloud, sur les semi-conducteurs, sur l’intelligence artificielle ou sur la cybersécurité ».

ChatGPT a fait beaucoup parler de lui depuis le début de l’année. Quels vont être les grands développements auxquels il faut s’attendre durant les prochaines années ?

T.G. : « ChatGPT est une solution relativement simple, mais qui a permis de mettre en évidence les possibilités des algorithmes d’intelligence artificielle. D’autres solutions plus avancées verront le jour, l’objectif à long terme étant l’utilisation des ordinateurs quantiques pour accéder à une puissance de traitement qui est encore inconnue à l’heure actuelle. Avec des positions sur des groupes comme NVidia, Applied Materials ou Synopsys , qui fournissent l’infrastructure nécessaire aux programmes d’intelligence artificielle, nous sommes vraiment au centre des développements actuels dans les solutions d’IA générative comme ChatGPT. Par contre, je pense que les algorithmes eux-mêmes risquent d’être assez rapidement très standardisés ».

Comment avez-vous traversé l’exercice 2022 ?

T.G. : « Ce fut une année difficile, avec beaucoup de pression sur les valeurs technologiques, qui ont été vendues par les investisseurs de manière indiscriminée. Néanmoins, lors de ce type de périodes de forte correction, il est important de ne pas paniquer, de ne pas perdre de vue l'opportunité à long terme, et de se rappeler la raison pour laquelle nous avons acquis un titre en premier lieu. Lorsque les actions se replient fortement et de manière indiscriminée, les corrélations entre les différents titres s’inscrivent à des niveaux élevés, créant ainsi des opportunités d'investissement sélectif. C'est pourquoi, l'année dernière, nous avons renforcé nos positions dans nos convictions les plus fortes. En effet, ces entreprises continuent de bénéficier de tendances séculaires et notre thèse d’investissement à long terme n'a pas changé. En parallèle, nous avons dû reconnaître un changement de régime macroéconomique l'année dernière, avec des taux d'intérêt structurellement plus élevés, ce qui aura un impact négatif sur les valorisations des valeurs de croissance les plus chères et non rentables. Nous avons ainsi réduit ces valeurs de manière significative ».