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Point de vue sur l'économie et les marchés
Calendar26 Apr 2023
Thème: Investir
Maison de fonds: Lazard

Nous sommes au milieu d'un changement de paradigme, déclare Ronald Temple, Chief Market Strategist chez Lazard.

Ron temple
Ronald Temple
Jusqu'au 8 mars, le scénario semblait bien établi. Les banques centrales des pays développés s'apprêtaient à resserrer considérablement leurs taux d'intérêt pour lutter contre une inflation obstinément élevée. Les marchés prévoyaient que le taux directeur de la Fed dépasserait 5,7 % en octobre 2023 et que le taux de dépôt de la Banque centrale européenne (BCE) dépasserait 4 %. La disparition de la Silicon Valley Bank (SVB) et de Crédit Suisse quelques jours plus tard a bouleversé ces prévisions et laissé les investisseurs envisager des scénarios radicalement différents. À l'aube de la saison des résultats d'avril, les équipes de direction des entreprises et les investisseurs cherchent à déterminer a) si le système bancaire américain est sur le point de répéter l'expérience de la crise financière de 2008, b) si et à quelle vitesse l'inflation se résorbe, c) comment les politiques monétaires vont réagir à l’évolution de l'inflation, et d) si la récession est inévitable après le cycle de hausse des taux le plus important depuis quarante ans.

Perspectives économiques

La situation n’est comparable à celle de 2008, mais les problèmes bancaires ne sont pas résolus. La confiance des investisseurs dans le système bancaire a été affectée et la faillite de SVB a mis en évidence une défaillance flagrante dans la structure de l'assurance relative aux dépôts bancaires américains. Pour résoudre ces problèmes à long terme, les limites de l'assurance des dépôts bancaires devraient être sensiblement relevées selon nous et les banques devraient payer pour cette couverture (comme c'est le cas actuellement).

En l'absence d'une telle solution, nous pourrions être confrontés à de nouvelles faillites de banques américaines qui nuiraient considérablement à la croissance économique. Il est important de noter que les problèmes de Crédit Suisse n'ont rien à voir avec ceux des banques américaines. Bien que l'on puisse trouver des exemples individuels de mauvaise gestion du risque de taux d'intérêt en-dehors des États-Unis, le système bancaire américain est particulièrement vulnérable à de tels problèmes étant donné la composition de l'actif et du passif des banques américaines par rapport à leurs homologues non-américaines. Par ailleurs, l'exposition à l'immobilier commercial est un domaine dans lequel les banques sont exposées au niveau mondial. Les pertes de crédit sur l'immobilier commercial sont susceptibles d'augmenter de manière significative dans les années à venir et peuvent être exacerbées si les banques perdent l'accès à un financement à faible coût. Bien que l'exposition à l'immobilier commercial n’ait représenté qu'une fraction du risque lié aux prêts hypothécaires résidentiels lors de la crise de 2008, il s'agit d'un domaine qui mérite une attention particulière.

L'inflation ralentit, mais pas assez rapidement. L'inflation de base (hors alimentation et énergie) reste largement supérieure à 5 % dans la plupart des grandes économies développées, notamment dans la zone euro, au Royaume-Uni et aux États-Unis. L'inflation de base à la fin de 2023 devrait selon nous avoisiner les 3,5 % dans la zone euro, au Royaume-Uni et aux États-Unis, mais il sera probablement beaucoup plus difficile de passer de 3,5 % à 2 % que de passer de 5,5 % à 3,5 %.

Le Federal Open Market Committee (FOMC) n'a commencé à relever ses taux de manière agressive qu'en mai 2022, et la première hausse des taux de la BCE a eu lieu en juillet. Les effets du resserrement de la politique monétaire ne se sont pas encore pleinement reflétés dans l'activité économique. La BCE sait que la croissance et l'inflation vont décélérer, mais comme son resserrement monétaire a commencé plus tardivement, il est probable que la banque centrale ne veuille pas s'arrêter trop tôt. Ainsi, nous nous attendons à ce que le taux directeur de la Fed culmine à 5,25 - 5,5 % et le taux de dépôt de la BCE à 3,75 - 4 %. Ceci impliquerait une hausse de 25 à 50 points de base au-delà des attentes actuelles du marché. Mais surtout, il faut s’attendre à ce que les taux restent à ces niveaux pendant une bonne partie de l'année 2024, alors que le marché s'attend à des baisses aux États-Unis au troisième trimestre 2023 et à un assouplissement dans la zone euro au premier trimestre 2024.

Les perspectives économiques mondiales sont mitigées pour 2023 et 2024, comme l'ont récemment souligné les perspectives du Fonds monétaire international (FMI). Il y a déjà des signes clairs de décélération de l'économie américaine, mais avec un resserrement encore plus important à venir et des banques qui réduisent l'accès au crédit, la probabilité d'une récession américaine est élevée, de 45 à 55 %, au cours des 12 à 18 prochains mois. L'économie de la zone euro accélère actuellement à partir d'un point de départ plus faible qu’aux États-Unis, mais la BCE est plus en retard dans la lutte contre l'inflation. En combinant l'ampleur du resserrement monétaire et le risque persistant relatif à l'approvisionnement en énergie au cours de l'hiver 2023 - 2024, on peut évaluer la probabilité d'une récession dans la zone euro à 35 - 45 %.

En réalité, même si la récession est évitée, l'économie sera probablement atone au sein des marchés développés jusqu'en 2024, ce qui créera un environnement difficile pour les entreprises de différents secteurs. Le seul point positif du point de vue de la croissance macroéconomique est la Chine, où le rebond de l'économie depuis l’arrêt de la politique zéro-COVID devrait permettre une croissance du PIB réel de 5,5 à 6 % en 2023. Toutefois, les effets de base s'estomperont en début d’année 2024, et l’on peut s’attendre à un ralentissement significatif de la croissance chinoise par la suite, à mesure que la demande en attente sera satisfaite.

Sans aucun doute, le reste de l'année apportera son lot de surprises économiques et de volatilité sur les marchés. Nous continuons de penser que nous sommes au milieu d'un changement de paradigme en ce qui concerne l'inflation, avec des pressions structurelles plus fortes sur les prix dues à l'évolution des chaînes d'approvisionnement mondiales et aux coûts du changement climatique. On ne sait pas exactement à quelle vitesse ces pressions se manifesteront, ni quand elles commenceront à l'emporter sur des facteurs économiques plus cycliques.

Ce qui est clair selon nous, c'est que les facteurs fondamentaux idiosyncrasiques sont susceptibles de jouer un rôle plus important dans l'évolution des prix des titres qu'ils ne l'ont fait ces dernières années, lorsque les facteurs macroéconomiques tels que les taux d'actualisation l'emportaient de loin sur les développements spécifiques aux entreprises.

Cela ne signifie pas que les facteurs macroéconomiques seront relégués au second plan. Le premier trimestre prouve le contraire, car les taux d'actualisation ont été un moteur essentiel des rendements des marchés actions aux États-Unis, tirés par les dix premières entreprises de l'indice S&P 500.

Toutefois, un seul trimestre ne signifie pas nécessairement que ce nouveau paradigme est terminé. Il s'agit probablement d'une simple interruption au sein d'une nouvelle tendance. Dans ce nouveau paradigme, le pouvoir de fixation des prix, la stabilité des marges, la solidité des bilans et la capacité de financement seront probablement plus importants que la prochaine réunion du FOMC.