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« Nous sommes revenus vingt ans en arrière » - Franck Dixmier (Allianz Global Investors)
Calendar27 Nov 2023
Maison de fonds: Allianz

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« Nous sommes revenus vingt ans en arrière »

Franck Dixmier a commencé sa carrière en 1995 dans le groupe Allianz Global Investors en tant que gestionnaire de fonds obligataires, après une maîtrise et un troisième cycle en finance obtenus à l’Université de Paris Dauphine. Il est aujourd’hui le Global CIO Fixed Income du gestionnaire d’actifs franco-allemand. Il reste un observateur passionné des marchés financiers et des politiques monétaires. Nous avons récemment eu l’occasion de l’interviewer à l’occasion d’une journée de rencontre avec les médias organisée à Berlin.

Franck
Franck Dixmier

Quelle est votre analyse de la situation macroéconomique actuelle aux Etats-Unis ?

Franck Dixmier: « La résilience de l’économie américaine est surprenante, mais elle s’explique par un soutien budgétaire très volontariste, avec notamment l’Inflation Reduction Act qui a injecté plus de 110 milliards de dollars dans l’économie américaine, un montant absolument considérable qui s’accompagne d’un recours à l’endettement tout aussi considérable. Alors que le marché s’attendait à une récession en 2023, la croissance devrait s’établir autour de 2%, avec un ralentissement qui devrait plutôt se produire au premier semestre 2024 ».

Il n’y a pas vraiment de consensus à ce sujet à l’heure actuelle…

F.D.: « Effectivement, et nos économistes sont d’ailleurs relativement pessimistes en parlant du principe qu’il y a rarement eu un tel resserrement des conditions monétaires accompagné d’un atterrissage en douceur. Force est toutefois de constater que l’économie américaine est résiliente, et qu’il n’y a pas une boucle prix-salaires qui s’est mise en place. Nous sommes assez confiants sur l’évolution de l’inflation aux Etats-Unis, avec une Réserve Fédérale qui devrait être en mesure de descendre son taux directeur au second semestre 2024 ».

Vous êtes donc moins optimiste pour la zone euro ?

F.D.: « Les gains de productivité sont négatifs ou nuls, ce qui explique qu’en dépit du ralentissement de l’économie européenne, nous restons proche du plein emploi. Toute hausse des salaires (5% attendu en 2023) dans ce contexte se retrouve dans le coût unitaire du travail. L’inflation cœur va donc se maintenir sur un niveau élevé qui va rester supérieur au niveau visé par la BCE. Notre scénario est donc plus nuancé que celui des marchés, et nous pensons que le niveau et la tendance sur l’inflation sous-jacente pourraient justifier une poursuite de la hausse des taux de la BCE, car elle ne peut pas se permettre un désencrage des anticipations d’inflation ».

Quelles sont les conséquences pour les marchés obligataires ?

F.D.: « Nous avons probablement sous-estimé la normalisation en cours sur la courbe des taux. Quand nous prenons un peu d’altitude, nous avons l’impression d’être aujourd’hui revenus vingt ans en arrière, avec des taux directeurs tournant entre 4 et 6%, et des primes de terme (prime exigée pour supporter le risque d’une détention à long terme d’une obligation) sur les courbes de taux. Nous sommes passés en quelques mois d’un environnement totalement contrôlé par les banques centrales (par la politique de taux zéro et par les rachats d’actifs) vers une forme de normalité ».

Quelles sont les zones du marché qu’il faut privilégier ?

F.D.: « Nous sommes assez positifs sur le marché américain dans un contexte de baisse de l’inflation, avec des taux réels qui vont devenir de plus en plus positifs et permettre des baisses de taux à partir du second semestre 2024. Nous privilégions les échéances courtes et intermédiaires (jusque 7 ans) qui sont particulièrement protégées si nous partons du principe que la Fed a atteint son taux terminal. A l’inverse, nous restons prudents sur l’Europe car les marchés ont sous-estimé le potentiel de resserrement des taux par la BCE. Des pays comme la France ou l’Italie ont toutefois une croissance structurellement faible et une situation budgétaire qui justifieraient un écartement du différentiel de taux par rapport au core européen. Nous sommes également vendeurs sur le Japon, car nous pensons que la situation de la banque centrale japonaise va devenir de plus en plus intenable et qu’elle va devoir relever ses taux à un moment ou l’autre ».

Est-ce que le crédit aux entreprises constitue une alternative à l’heure actuelle ?

F.D.: « Nous maintenons un léger biais positif sur le crédit européen en raison des rendements attractifs. Nous sous-pondérons actuellement les secteurs les plus sensibles à la décélération de l’économie (immobilier, construction, etc) et surpondérons les bancaires ou les secteurs exposés sur la transition énergétique. Pour le haut rendement, nous continuons à être légèrement exposés car nous partons de l’hypothèse qu’il n’y aura pas une récession forte, avec des taux de défauts qui vont rester inférieurs aux moyennes historiques en 2024. Si le différentiel de taux actuel peut constituer un bon point d’entrée sur le haut rendement européen, il n’est pas suffisant pour protéger les investisseurs contre une récession dure ou contre une période de forte volatilité sur les marchés boursiers ».

Et pour la dette émergente ?

F.D.: « Nous sommes extrêmement sélectifs, avec une préférence pour la dette haut rendement avec des pays comme le Brésil ou la Colombie. La dette émergente investment grade est nettement moins attractive, à l’exception du Mexique qui offre encore de la valeur pour les investisseurs. Dans l’ensemble, nous faisons face à un environnement où le degré d’incertitude reste encore assez élevé à la fois sur l’orientation de la macroéconomie et de l’orientation des politiques monétaires, ce qui nourrit la volatilité sur les marchés de taux. Mais globalement, nos convictions ont plutôt eu tendance à se renforcer durant les derniers mois, et nous sommes aujourd’hui plus à même d’assumer une prise de risque plus importante avec un éventail de stratégies assez large ».