
Alors que le deuxième tour devrait se tenir d’ici quelques jours, la trajectoire budgétaire française va devoir être sérieusement infléchie durant les prochains mois.
A l’occasion de son récent passage à Bruxelles, Christopher Dembik (Conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet Asset Management) est revenu sur les récents événements en France. « Nous avons quand même entendu beaucoup de commentaires un peu sensationnalistes qui reflètent de très loin la réalité des chiffres. Le meilleur indicateur pour suivre cette crise reste quand même le marché obligataire, pour savoir s'il y a éventuellement un risque de contagion vers les autres pays européens ».
Creusement du déficit
Il constate que si l’écart du taux français avec le taux allemand a augmenté suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale, il avait déjà fortement augmenté depuis le début 2022. « A l’époque, il était de 30 points de base (0,30%), et il s’était déjà orienté à la hausse avant les élections. Il est depuis grimpé jusque 80 points de base (0,80%) et s’est stabilisé autour de ce niveau. Cet écartement reflète surtout une incertitude grandissante des investisseurs quant à la trajectoire de la dette qui n’est pas tant liée au processus électoral qu’à l’évolution du déficit budgétaire depuis quelques années ».
Il estime donc que la vraie question n’est pas de savoir quelle sera la couleur politique du prochain gouvernement, mais bien quelles vont être les décisions qui vont être mises en termes de trajectoire de la dette. « Nous tablons pour cette année sur un déficit de 5,5% pour la France, ce qui va nécessiter un effort budgétaire de l’ordre de 15 milliards d’euros durant la seconde partie de l’année. Si le prochain gouvernement ne s'attaque pas à la baisse du déficit, la dette de la France va se stabiliser autour de 115 % du PIB d'ici 2028 selon les projections du FMI, alors que celle du Portugal n’atteindra que 80% du PIB dans le même intervalle».
Il estime donc qu’il faut aujourd’hui arrêter de comparer la France et l’Allemagne, mais plutôt comparer la France aux pays ibériques. « Si on peut débattre de la couleur politique du prochain gouvernement, il est clair qu’il n’y aura dans tous les cas pas de marge de manœuvre pour des mesures dispendieuses car il y aura une sanction immédiate du marché et de la Commission Européenne ».
Baisse des dépenses
Dans le même temps, Christopher Dembik estime ne pas craindre une contagion des problèmes français vers les autres pays européens, et les premières adjudications réalisées par le Trésor français depuis les élections se sont bien passées. « La demande reste au rendez-vous, mais si rien n’est fait pour contrôler les déficits, le taux a 10 ans va continuer à s’écarter vers 4% car il faudra convaincre les investisseurs de détenir la dette française ».
Il estime que c’est principalement du côté des dépenses publiques que les efforts devront être consentis plutôt que sur une hausse de la fiscalité au vu de l’état de la demande, et alors que les prélèvements sont déjà particulièrement pénalisants par rapport aux autres pays européens. « Au vu de la faiblesse des investissements réalisés par les entreprises, accroître la fiscalité ne sera pas le meilleur levier pour créer de la richesse sur le long terme ».
Allocation d’actifs
En termes d’allocation d’actifs, Christopher Dembik souligne ne pas détenir de dette souveraine française, et avoir seulement une faible exposition sur les actions au travers de certains acteurs du luxe. « Nous ne voyons toutefois pas de risque sur les actifs français, et la volatilité constituera plutôt une bonne opportunité d’achat. Contrairement à certains de nos concurrents, nous ne pensons pas que le processus électoral français doit conduire à sous-pondérer les actions françaises, voire l’ensemble des marchés européens ».
« Pour le reste, nous restons quand même fortement surpondérés sur les Etats-Unis, car nous anticipons une poursuite de la performance boursière positive sur le long terme avec une croissance qui va progressivement ralentir vers 2% et permettre à la Réserve Fédérale de ne faire qu’une seule baisse de son taux directeur en 2024, plutôt vers la fin de l’année ».
Il souligne également que le déficit budgétaire américain n’est pas vraiment un problème par rapport à la France. « Un déficit n’est fondamentalement pas un problème s’il est bien alloué et se traduit par des gains de productivité importants. Et le marché se souvient également que les Etats-Unis ont toujours été en mesure de réduire rapidement et drastiquement leur déficit par le passé ».
Diversification japonaise
Et termes de secteur, il reste convaincu par les perspectives des valeurs exposées sur l’intelligence artificielle, qui est au cœur d’une révolution industrielle qui va toucher l’ensemble des secteurs économiques durant les prochaines années. « NVidia est au cœur de cette évolution, et le groupe a bien compris qu’il ne pouvait pas rester uniquement sur le développement de puces, qui fera un jour ou l’autre face à un nouvel entrant ».
A côté de la technologie américaine, il reste également convaincu par les perspectives de long terme pour le marché japonais, qui présente la caractéristique d’être assez peu exposé sur la thématique de l’intelligence artificielle avec une consommation intérieure qui devrait progressivement accélérer grâce à l’augmentation du pouvoir d’achat.
« Le Japon, c’est également le meilleur moyen d'avoir du rendement, avec des sociétés leader qui disposent de liquidités importantes à distribuer. Ce marché offre également une bonne diversification par rapport à notre allocation sur la technologie et le dollar. Ce positionnement permet également d’être exposé sur la Chine sans devoir investir directement dans ce pays, qui fait toujours face à des défis importants et à une méfiance croissance de la part des investisseurs internationaux ».