Par Julie Gossen, spécialiste des investissements responsables chez DPAM
Il est urgent d’agir dans le secteur agroalimentaire. Mais par où commencer ? La fermentation entérique (le processus digestif qui, chez les ruminants, produit du méthane), la production de cultures destinées au bétail et à la consommation humaine, et les changements d’affectation des sols sont les principaux facteurs qui contribuent aux émissions agricoles. Ils sont responsables d’environ trois quarts des émissions de gaz à effet de serre provenant de la production alimentaire.
8 000 000 000. Le 15 novembre 2022, selon les Nations unies, la population mondiale a atteint huit milliards d’habitants. Bien que le taux de croissance ralentisse, les Nations unies prévoient que d’ici 2050, la planète comptera 9,7 milliards d’habitants.
2050 est aussi l’année où les pays et les entreprises devront atteindre leur objectif de zéro net, tout en fournissant suffisamment de nourriture à la population mondiale. Comme le montre clairement la carte de matérialité du Sustainability Accounting Standards Board, le changement climatique et la production alimentaire sont étroitement liés. L’industrie agroalimentaire est exposée à des risques importants liés au changement climatique, notamment les émissions de gaz à effet de serre, la gestion de l’énergie et la gestion de l’eau.
Il est essentiel de prendre en compte les émissions des denrées alimentaires, car elles pourraient consommer la majeure partie du budget carbone disponible pour rester en deçà de 1,5 °C ou 2 °C. En effet, Our World in Data estime que, dans le cadre d’un scénario de statu quo et compte tenu des tendances démographiques, alimentaires et agricoles, les émissions cumulées de gaz à effet de serre provenant de la production alimentaire entre 2020 et 2100 utiliseraient 96 % du budget carbone disponible pour maintenir le réchauffement de la planète sous la barre des 2 °C, avec une probabilité de 67 %, ce qui ne laisserait que 49 milliards de tonnes d’équivalents CO2 pour tous les secteurs non alimentaires.
Principaux responsables des émissions agricoles
Réduire la fermentation entérique grâce aux innovations agrotechnologiques
Pour réduire le plus gros responsable des émissions carbone dans le secteur agricole, à savoir la fermentation entérique, des entreprises comme DSM-Firmenich ont développé des solutions innovantes telles que Bovaer. Selon l’entreprise, ce complément alimentaire permet de réduire les émissions de méthane des bovins d’au moins 30 % pour les vaches laitières et de 45 % pour les bovins de boucherie.
Produire plus avec moins : comment améliorer le rendement des cultures ?
L’amélioration du rendement des cultures est un autre moyen pour le secteur alimentaire de réduire sa part dans le budget carbone mondial. Des recherches publiées dans le magazine Science en 2020 ont montré que des rendements plus élevés pourraient réduire les émissions alimentaires de 14 %, passant de 1 356 milliards de tonnes à 1 162 milliards de tonnes d’équivalent CO2. L’utilisation d’engrais et d’huile de palme pourrait doper les rendements.
Les engrais
Les engrais peuvent contribuer à augmenter les rendements en fournissant aux cultures des nutriments essentiels qui leur assurent une croissance optimale. Cela permet aux producteurs de denrées alimentaires de maximiser la productivité agricole afin de répondre à la demande alimentaire mondiale tout en réduisant la pression sur les écosystèmes naturels, diminuant ainsi la conversion des terres et la déforestation.
Les engrais ont été fortement critiqués pour leurs conséquences environnementales négatives, notamment la pollution de l’eau, l’eutrophisation et les fortes émissions de gaz à effet de serre lors de la production. Alors qu’à l’heure actuelle, ils sont généralement produits à partir d’ammoniac et de combustibles fossiles (généralement du gaz naturel), l’utilisation de sources renouvelables pour la production d’engrais permettra d’obtenir de l’azote plus “propre” et de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une deuxième critique porte sur le fait que la dépendance à l’égard des engrais a des répercussions sur la santé des sols. Cependant, lorsqu’ils sont gérés de manière durable et appliqués correctement, les engrais peuvent en réalité améliorer les sols.
Les pratiques agricoles peuvent intégrer la gestion des éléments nutritifs, ce qui permet une utilisation plus durable des engrais. En analysant la teneur du sol en éléments nutritifs, il est possible de cibler l’application en utilisant des engrais à libération lente ou contrôlée pour répondre aux besoins des cultures, en fournissant aux plantes les éléments nutritifs essentiels qui peuvent être déficients dans le sol. Les agriculteurs peuvent ainsi optimiser l’utilisation de leurs terres, de l’eau et de l’énergie. Enfin, ces technologies réduisent les déchets et minimisent le risque de ruissellement ou de lessivage des nutriments.
L’huile de palme
L’huile de palme a été largement critiquée pour ses effets dévastateurs sur l’environnement, en grande partie à cause de la déforestation. Les écosystèmes qui disparaissent pour produire de l’huile de palme sont généralement des puits de carbone et, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, cette déforestation pourrait être à l’origine de 10 % des émissions mondiales supplémentaires de carbone. Cependant, l’huile de palme a un rendement à l’hectare quatre à vingt fois supérieur à celui des autres huiles végétales (tournesol, colza, soja) et peut donc réduire le changement d’affectation des sols et la déforestation.
C’est également l’huile la plus utilisée dans les pays où la population augmente. Parmi ses avantages, citons sa capacité à supporter des températures de cuisson élevées (ce qui la rend utile pour la friture) et sa longue durée de conservation.
Un défi qui n’est pas impossible à relever
Pour parvenir à la réduction nécessaire des émissions dans la chaîne de valeur alimentaire, il faudra combiner les solutions. Celles-ci iront de l’innovation technologique dans l’agriculture au changement des habitudes de consommation (régimes riches en végétaux), en passant par des solutions pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Même si nous mettions en œuvre tous ces changements à 50 %, il s’agirait d’un pas important dans la bonne direction. Toutefois, les émissions liées à la production alimentaire absorberaient encore la totalité du budget carbone mondial nécessaire pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C (avec une probabilité de 67 %), selon les recherches menées par le magazine Science.
En résumé, nourrir une population mondiale en croissance rapide tout en atteignant des objectifs climatiques ambitieux est un défi, mais il n’est pas impossible à relever. Il est essentiel de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole, notamment grâce à des progrès tels que les additifs alimentaires réduisant le méthane et l’amélioration du rendement des cultures. Les engrais peuvent jouer un rôle s’ils sont utilisés de manière durable et l’huile de palme constitue une option viable pour réduire le changement d’affectation des sols. Enfin, on ne saurait trop insister sur l’importance d’un dialogue avec des entreprises actives dans ce secteur, en utilisant des données et des recherches spécifiques et en mettant l’accent sur la matérialité.