
Par Daniel Pechon.
Le gérant emblématique, David Ross, CFA, du fonds Echiquier World Equity Growth, qui affiche plus de 22 % de gain depuis le 1er janvier et une performance annuelle de 10,7 % depuis 2010 (au 16 décembre 2024), voit quelques nuages pointer à l’horizon du ciel bleu des indices américains.

« Le marché américain a pris l’habitude de grimper après les élections mais je doute qu’il se soit agi d’un ‘Trump rally’ comme beaucoup l’ont qualifié » commente le gérant, « le programme du futur président des Etats-Unis a semé un peu plus d’incertitude dans l’esprit des gérants - déficit, inflation, tarifs douaniers…-. Avec des actions, déjà, fortement valorisées, la lecture du marché est devenue un peu moins lisible et mon travail de gérant plus compliqué. »
Une première inquiétude porte sur l’inflation avec un taux de 3,3 % mi-décembre. « Selon nous, la Fed n’obtiendra pas son objectif de 2 %. Les marchés semblent pour le moment oublier le volet inflationniste du programme du futur président. L'impact des barrières douanières n'est pas le seul carburant inflationniste d'une nouvelle administration Trump. »
La promesse d'une réduction forte de l’immigration et l’expulsion théorique du chiffre avancé de 6 millions de travailleurs sans papiers du territoire des Etats-Unis, constitue un risque important pour les sociétés américaines qui composent déjà depuis 3 ans avec un marché du travail toujours tendu. Une telle politique va faire resurgir des pénuries de main-d’œuvre dans différents secteurs, principalement dans celui des services, empêchant la stabilisation de l'inflation à son objectif. Et conséquence immédiate pour les marchés, elle viendrait réduire la possibilité pour la Fed de délivrer les baisses de taux promises en 2025 selon le gérant de LFDE.
Ensuite, l'administration Trump, qui envisage des baisses de taxes et automatiquement l’augmentation du déficit, pourrait être rapidement confrontée à des conditions de placement de la dette nettement moins favorables que l'administration sortante. Une augmentation de la dette renchérira les coûts de financement de l’Etat mais aussi celui des entreprises par la hausse des rendements. Janet Yellen, ancienne présidente de la Fed, a déclaré récemment : « appliquer toutes les réductions de taxes annoncées donnera un coup dur au déficit ».
Même le scénario de la hausse des taux par la banque centrale des Etats-Unis pour éviter l'envolée des prix, n’est pas exclu. Si le taux d’inflation publié le 11 décembre pour le mois de novembre a donné un feu vert à une baisse de taux en cette fin d’année, elle a mis aussi un peu le feu à l’orange pour 2025. Le président de la Fed, Jerome Powell, répète en public et plus encore en privé qu'il sera vigilant. Mais la hausse des rendements mettra à nouveau une forte pression sur le secteur de la construction. Si l’âge moyen de devenir propriétaire aux Etats-Unis était de 26 ans en 2000, il est de 38 ans aujourd’hui…
En résumé, l’inflation menace et les valorisations offrent peu de potentiel, même si David Ross convient que les bénéfices des entreprises du S&P 500 devraient progresser encore de 11 % en 2025. Quant au déficit qui devrait grimper, ce n’est pas un risque à court terme mais à long terme selon le stratège de LFDE. « Les capitaux continuent de prendre la direction d’une économie performante, en termes de croissance, de productivité ou d'innovation. Le dollar reste une devise de réserve. Le pétrole se paie toujours en dollar » explique David Ross.
Cela signifie-t-il que Wall Street est trop cher et qu'une correction est inévitable ? Ces valorisations ne sont pas dangereuses, mais exigeantes. En d'autres termes, les sociétés américaines n'ont pas le droit à l'erreur…Et David Ross aperçoit quelques nuages qui risquent de s’amasser dans le ciel actuellement bleu de Wall Street, en début d’année, au plus tard au printemps. Les marchés respectent la saisonnalité qui veut que la fin d’année soit souvent favorable au cours d’une bonne année. Le Momentum de cette hausse pourrait se prolonger en janvier/février selon le gérant américain. Et il est également possible que certaines ventes soient retenues en cette fin d’année pour des raisons fiscales.
La croissance décalée
De plus, la croissance risque de décevoir au printemps avec un effet décalé. La crainte d'une grève portuaire majeure en octobre a accéléré l'activité pour assurer les livraisons pour la saison de Noël. La crainte des hausses de droits de douane annoncées dès le début du mandat de Trump a aussi un effet accélérateur des importations vers les États-Unis de marchandises et produits de base. Enfin, les craintes d'une grève portuaire, à nouveau, à la mi-janvier, a pour effet de maintenir cet élan. Ces activités devaient logiquement s’étaler mais sont concentrées dans un laps de temps plus court. L'activité économique a été simplement avancée ; « la constitution d’une poche de faiblesse économique, à l'approche du printemps, pourrait effrayer les marchés sur les perspectives de croissance et ouvrir la possibilité d’une correction du marché, » estime David Ross.
Nous sommes devenus plus négatifs à l'égard du Mexique, pas sur le Brésil. La dynamique économique du Mexique s’étiole avec des risques politiques et pourrait être freinée un peu plus par les tarifs douaniers envisagés par Trump. « Nous avons soldé notre position dans la banque mexicaine Banorte. En revanche, le Brésil pourrait être un des gagnants d’une éventuelle guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Les représailles chinoises porteraient sur les produits agricoles américains, que le Brésil est prêt à fournir.
Notre dernier « achat » a été Uber poursuit le gérant. « Les bonnes nouvelles de Tesla et de son robot taxi sont automatiquement interprétées comme de mauvaises nouvelles pour Uber . Ce qui n’est pas fondé. Aujourd’hui, trop de pessimisme imprègne la valorisation d’ Uber . Un point d'entrée attractif selon nous a été atteint (le cours d’ Uber a perdu environ 20 % depuis les élections américaines, celui de Tesla a progressé de plus de près de 60 % au 16 décembre).
Enfin, les risques de stagflation à l'approche de 2026 ne sont pas exclus. Si Trump installe un nouveau président de la Fed, probablement plus tolérant à l'égard de l'inflation que l'actuel, l’élément déclencheur sera un accroissement des dépenses déficitaires que le Congrès autorisera au cours des prochaines années. En empruntant sur l'activité économique future, il est probable que cette activité future sera plus faible. D'où un risque de stagnation, voire de récession accrue.
Enfin, de nombreux analystes estiment que la croissance des grandes valeurs technologiques va ralentir en 2025. Et l’économiste Ed. Yardeni partage avec David Ross que le marché est un peu trop enthousiaste sur la politique qui sera développée par le nouveau président, et déclarait : « Il y a de fortes chances que l’on assiste à quelques ventes dès janvier après plusieurs mois de gains. En cette fin d’année, il y a, à mes yeux, trop d’optimisme dans le marché. Mais il est aussi possible que cette correction ne soit pas longue et fournisse une opportunité d’achat. » L’économiste a un objectif de 7000 fin 2025 pour le S&P500, de… 8000 pour 2026 et même 10000 avant la fin de la décennie.