
Par Frédéric Lejoint.
La divergence économique croissante entre les Etats-Unis et l’Europe va soutenir l’attrait pour les actions américaines.
Christopher Dembik (Conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet Asset Management) a récemment tenu son dernier webinaire mensuel de 2024, l’occasion de faire un bilan rapide de l’année écoulée et de dresser des lignes de conduite pour les investisseurs avant un exercice 2025 qui s’annonce passionnant et volatil. Et de répondre à la question concernant la nécessité de revenir sur les actions européennes, alors que les perspectives boursières semblent favoriser largement une exposition sur la technologie américaine.

Pas de crise
« Du côté européen, les indices ont récemment été mis sous pression par les incertitudes quant à la situation politique française, même si nous tenons à préciser que nous ne sommes pas sur une scénario de crise de la dette ou de récession ». Il pointe que l’état français continue de se refinancer sans problème, avec un taux à 10 ans qui reste largement gérable pour le Trésor français et attrayant pour les investisseurs.
« L’émission réalisée dans la foulée du vote de la motion de censure a vu une demande trois fois supérieure à l’offre, donc il faut éviter de tomber dans ces thématiques de crise financière qui ne correspondent pas à ce qui se passe sur le marché. Si le différentiel de taux face à l’Allemagne est sur un niveau élevé, il est loin d’indiquer un état de panique sur le marché obligataire ».
Marasme européen
Il constate également que le marché américain est haussier depuis l'automne, avec un indice S&P500 qui pèse désormais plus de 50% de la capitalisation mondiale; et avec des flux qui continuent de se précipiter vers ce marché, notamment en provenance de la zone euro. « Il serait tentant de profiter du passage à la nouvelle année pour s’exposer davantage sur l’Europe et profiter des valorisations attractives. Nous sommes toutefois assez dubitatifs à cet égard ».
Christopher Dembik souligne que de nombreux facteurs continuent de pousser les investisseurs vers les actions américaines. « Le succès des ETF favorise cet essor, tandis que la révolution de l'intelligence artificielle reste un phénomène indéniablement lié au marché américain. Même sur des études très longues, les places européennes ne sont jamais parvenues à durablement battre l’indice S&P500 » en raison notamment d’une surexposition sur des secteurs dégageant peu de valeur ajoutée et d’une difficulté à développer un secteur technologique de pointe.
Sur le long terme, l’indice S&P500 a dégagé une performance annualisée comprise entre 9 et 10% durant le dernier siècle. « Les conditions sont réunies pour avoir un rally sur les actions américaines qui va se poursuivre en 2025, avec des flux entrants de 140 milliards de dollars depuis l’élection de Donald Trump, auxquels il faut ajouter des programmes de rachats d’actions, des sommes importantes parquées dans les fonds monétaires, et des résultats qui restent solidement orientés ».
Tarifs négociés
Il est inversement dubitatif sur la capacité de l’Allemagne à enclencher un redressement rapide, en raison de la crise persistante de son secteur manufacturier, avec quasiment 50% des entreprises qui estiment avoir des difficultés à remplir leur carnet de commandes. « Ce problème structurel allemand est lié à l'énergie et à la difficulté de réorienter la R&D, qui était traditionnellement concentrée dans l'automobile, pour soutenir d'autres secteurs d'activité. La dynamique économique européenne va donc rester très mauvaise pour les prochains trimestres »
D’un autre côté, il estime que l’impact de la menace de tarifs en provenance des Etats-Unis a probablement été exagéré par les marchés. « L’effet sur les indices et la croissance restera limité, avec beaucoup de communication mais finalement assez peu de mesures concrètes qui seront mises en œuvre. Les autorités européennes ont déjà annoncé leur volonté de négocier, car nos économies n’ont pas les armes pour mener une guerre commerciale à grande échelle ».
Pour 2025, il estime que le risque d’une disruption politique en Europe va rester important, avec des échéances électorales en Allemagne, en France, mais aussi dans des pays déjà fragilisés comme l’Espagne ou les Pays-Bas. « En termes de flux, ce risque va faire réfléchir les investisseurs extra-européens et leur faire très certainement privilégier les Etats-Unis où le rendement est assuré sans risque politique ».
Attrait émergent
Pour se diversifier par rapport au marché américain, Christopher Dembik souligne que la dette des pays émergents libellée en dollar peut désormais être considérée favorablement, notamment pour des pays comme l’Egypte, la Turquie, l’Argentine ou encore le Nigéria. « Nous avons la conviction que le dollar va rester fort en 2025, ce qui est traditionnellement une mauvaise nouvelle pour les pays émergents. Mais les fondamentaux économiques d’un bon nombre de ces pays sont aujourd’hui nettement plus solides que par le passé, avec une dette extérieure qui est contenue et soutenable, et des rendements extrêmement attrayants » tournant entre 7 et 8% pour la dette en dollar.
En guise de conclusion, Christopher Dembik a également tracé les grands thèmes pour 2025, avec notamment une divergence croissance entre l’Europe et les Etats-Unis, le potentiel retour de l’inflation américaine, la baisse des prix de l’énergie ou la domination du dollar. « Il faudra également regarder les priorités qui seront mises en avant par le parti communiste chinois en mars prochain, notamment si montants sont concrètement alloués à la relance de la consommation ».