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Comment l'indépendance de la politique monétaire s’est effritée avec la complicité du marché.
Calendar20 Nov 2025
Thème: Macro
Maison de fonds: Ethenea

« La question n'est plus de savoir si le système de politique monétaire américain va changer, mais à quelle vitesse et quelles en seront les conséquences pour les marchés financiers », commente Jörg Held, responsable de la gestion de portefeuille. « Le fait est que les marchés anticipent déjà ce changement bien avant qu'il ne soit ouvertement évoqué. »

La Réserve fédérale américaine (Fed) connaît actuellement un changement de paradigme. Ce qui a commencé comme une escarmouche sur les réseaux sociaux et s'est transformé en une immixtion politique ponctuelle est devenu une question systémique concernant les rapports de force en matière de politique monétaire.

« La logique du marché est simple : la baisse des taux d'intérêt augmente les multiples de valorisation, réduit les coûts de refinancement et affaiblit le dollar. Ces effets correspondent précisément aux préférences économiques explicitement exprimées par Donald Trump. La confiance dans l'indépendance de la politique monétaire est donc non seulement affaiblie, mais devient un risque au sein du système financier », explique Jörg Held.

Contexte macroéconomique

La lutte de pouvoir entre l'administration américaine actuelle et la Fed pourrait bientôt atteindre son paroxysme. L'équipe Trump fait pression pour un assouplissement plus important du taux des fonds fédéraux (actuellement compris entre 3,50 % et 3,75 %) afin de soutenir l'économie, le refinancement et l'emploi. De son côté, la Fed tente de défendre l'indépendance et la crédibilité de sa politique monétaire. Il ne s'agit pas d'une décision isolée, mais de savoir qui déterminera à l'avenir l'orientation de la politique monétaire américaine : la banque centrale ou le gouvernement. Le secrétaire au Trésor Scott Bessent a réduit à cinq la liste des candidats à la succession de Jerome Powell à la présidence de la Fed. Malgré leurs profils différents, ces candidats partagent une conviction commune : celle que des taux d'intérêt durablement bas sont nécessaires tant pour la politique économique que pour la politique budgétaire.

« Stephan Miran est le premier membre de l'exécutif à siéger au conseil d'administration de la Fed depuis septembre 2025. En mars 2024, M. Miran affirmait que l'indépendance de la Fed était exagérée et surestimée en termes économiques », explique M. Held. « Cela fait entrer le conflit entre l'autonomie de la politique monétaire et les calculs politiques dans sa phase décisive. Les semaines à venir montreront si la Fed continuera d'être perçue comme une institution indépendante ou si elle se soumettra de fait à l'agenda stratégique de la Maison Blanche. »

Ce que cela signifie pour les investisseurs

Pour les investisseurs, cela signifie que le scénario de base d'un assouplissement de la politique monétaire sous l'impulsion des dirigeants politiques est très probable. Si la Cour Suprême confirme le licenciement de Lisa Cook et que l'administration nomme déjà un « président fantôme », Jörg Held estime que la pression institutionnelle sur Jerome Powell sera telle qu'il est réaliste de s'attendre à ce qu'il démissionne avant la fin de son mandat. « Un successeur loyal mettrait probablement en œuvre le programme de Stephan Miran : une réduction du taux des fonds fédéraux à environ 2,25 % d'ici la fin de l'année, accompagnée d'une éventuelle reprise des mesures d'assouplissement quantitatif afin d'empêcher une hausse des rendements à long terme. » Résultat : « La courbe des taux s'aplatirait de manière ciblée, tandis que la baisse des rendements nominaux soutiendrait à la fois les marchés obligataires et boursiers. »

Dans le même temps, Jörg Held s'attend à ce que les craintes inflationnistes perdent de leur pertinence : « Les pressions tarifaires sur les prix resteront isolées, tandis que les gains d'efficacité liés à l'intelligence artificielle renforceront l'offre et réduiront les anticipations inflationnistes à long terme. Il en résultera une baisse des taux d'intérêt réels. » Pour les investisseurs, cela se traduit par un positionnement clair en faveur d'une désinflation structurelle, qui éclipse les effets inflationnistes à court terme. « L'intelligence artificielle revêt ainsi une importance non seulement technologique, mais aussi macroéconomique : elle modifie la fonction de production et, par conséquent, la logique décisionnelle de la politique monétaire », explique le stratège d'ETHENEA.

Scénario : Goldilocks

Dans ces conditions, les bons du Trésor à dix ans pourraient tendre vers 3,0 % ou moins, ce qui créerait un environnement rare où les prix des obligations et des actions augmenteraient simultanément. Le dollar devrait également s'affaiblir modérément, soutenu par l'accent mis par les politiques sur la concurrence à l'exportation et la part de marché mondiale. « Si la stratégie de Trump fonctionne, cela créerait un scénario « Goldilocks » à court terme : taux d'intérêt bas, marchés en hausse, inflation modérée. Contrairement aux cycles précédents, cet équilibre ne serait toutefois pas tiré par le crédit, mais soutenu par des gains de productivité grâce aux bouleversements technologiques », explique M. Held. La probabilité que le taux d'intérêt directeur tombe entre 2,0 et 2,5 % d'ici la fin 2026 est élevée. « Le facteur clé est que toute augmentation potentielle des rendements sera atténuée par une réactivation de la politique d'assouplissement quantitatif. »