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Les perspectives 2021 de M&G
Calendar23 Dec 2020
Thème: Macro
Maison de fonds: M&G Investments

Mettre à l’épreuve le seuil de zéro : les étranges effets d’une étrange récession en 2020 et au-delà.

Par Richard Woolnough, gérant du fonds M&G (Lux) Optimal Income fund

Richardwoolnough
Richard Woolnough
Cette récession n’a été provoquée par aucun des facteurs habituels, à savoir des conditions financières restrictives, l’éclatement d’une bulle réelle ou de marché, une forte augmentation des prix des matières premières ou une combinaison d’entre eux. Cette année a poussé les investisseurs à accepter plus que jamais l’étrange situation de payer pour le privilège de prêter leur argent - mettant ainsi à l’épreuve le seuil zéro » des taux d’intérêt et entraînant assurément des conséquences très étranges.

Les obligations à rendement positif offrent une performance totale positive si elles sont conservées jusqu’à l’échéance. Les obligations à rendement négatif offrent une performance totale négative si elles sont conservées jusqu’à l’échéance. Les manuels d’économie expliquent que les épargnants reçoivent des revenus et constituent ainsi leur patrimoine. Dans le même temps, les emprunteurs paient un revenu en contrepartie du privilège d’emprunter. Toutefois, dans un monde à rendement négatif, l’épargnant perçoit le flux financier négatif de l’emprunteur et l’emprunteur reçoit un revenu en échange de son emprunt. C’est là un monde très étrange en effet ! Dans le passé, cela aurait été un exercice très théorique, mais c’est aujourd’hui un phénomène réel que les investisseurs acceptent.

Le potentiel haussier lié à la détention de titres obligataires à faible rendement ou à rendement négatif est très limité et explique le pourquoi de la duration courte de mes fonds. Lorsque vous atteignez la limite négative, ou que vous vous en approchez, il devient difficile d’investir ; le potentiel de hausse est limité et les pertes peuvent rapidement s’accumuler (encore plus si vous détenez une dette à long terme jusqu’à son échéance).

L’une des conséquences les plus évidentes de l’atteinte du seuil zéro » est que les banques centrales ne peuvent plus stimuler l’économie en cas de détérioration de la croissance et de la demande.

Un autre effet des taux d’intérêt nuls ou négatifs à court terme est la mesure dans laquelle cela nuit au rôle traditionnel du système bancaire qui consiste à jeter un pont entre l’épargnant et le prêteur. Comme l’a suggéré l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King, à l’occasion d’une récente interview télévisée : « [Des taux négatifs] ne peuvent pas aller de pair avec un secteur bancaire efficace, à moins que les banques ne puissent répercuter les taux négatifs sur leurs clients particuliers. Une fois fait, je pense que l’on devrait alors s’attendre à voir une longue file de clients cherchant à retirer leur argent des banques et à le conserver sous le matelas, ou tout au moins dans un nouveau coffre-fort chez eux. Je ne pense pas du tout que ce soit une perspective politiquement attractive ».

Les limites de la politique monétaire

La politique monétaire ayant atteint ses limites, la politique budgétaire doit dès lors jouer un plus grand rôle dans la relance de l’économie. C’est d’ailleurs ce que suggèrent les récents commentaires du président de la Réserve fédérale Jérôme Powell et de la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde. Les deux ont lancé un appel en faveur d’un soutien budgétaire plus prononcé afin de stimuler les économies touchées par la crise de la Covid-19 à l’aube d’un hiver s’annonçant difficile. Jerome Powell a déclaré que « un soutien insuffisant conduirait à une reprise anémique et, ce faisant, créerait des difficultés inutiles pour les ménages et les entreprises », tout en précisant que même si les mesures de relance étaient plus importantes que ce qui était nécessaire, « elles ne seraient pas pour autant gaspillées ». Dans le même temps, Christine Lagarde a souligné qu’il était « plus important que jamais que la politique monétaire et la politique budgétaire continuent de travailler main dans la main ».

Comment supprimer la « limite zéro »

Les taux d’intérêt sont un mécanisme de prix qui fixe un niveau auquel les épargnants et les emprunteurs peuvent interagir et qui permet un recyclage efficace de l’épargne. Dans un contexte de taux négatifs, la banque centrale taxe au contraire le système financier et les épargnants seront réticents à prêter. Dans ce cas, le recyclage des capitaux s’arrête.

Le moyen le plus simple de supprimer la « limite zéro » et de rétablir la capacité des banques centrales à abaisser leurs taux serait de supprimer la possibilité de détenir des liquidités. La monnaie électronique est une solution dans la mesure où, s’il n’y avait pas d’espèces, votre dépôt d’argent électronique pourrait se désagréger avec le temps, produisant ainsi des taux négatifs sans aucune autre alternative en termes de liquidités. Toutefois, ce serait politiquement très impopulaire pour diverses raisons évidentes - et les particuliers pourraient y voir un impôt sur le capital. D’autres alternatives à l’argent pourraient également être recherchées, ce qui compromettrait cette approche : l’or, une devise étrangère ou une autre version de cryptomonnaies telles que le Bitcoin en sont des exemples.

La deuxième solution serait de laisser la banque centrale prêter de l’argent en dessous de zéro afin de subventionner les banques. C’est l’approche de la BCE avec son programme TLTRO (opérations ciblées de refinancement à long terme) qui est destiné à stimuler le crédit et à jouer le rôle de simple subvention de la banque centrale aux banques du secteur privé. Toutefois, il s’agit d’une transaction intrinsèquement déficitaire pour les banques centrales et qui, in fine, a un pouvoir limité dans la mesure où elle crée une possibilité d’arbitrage entre les taux négatifs et les espèces sonnantes et trébuchantes.

La troisième option est d’imprimer de la monnaie. C’est peut-être le moyen le plus simple d’échapper à la « limite zéro », mais il soulève malheureusement la question difficile suivante : à qui donne-t-on l’argent imprimé ? Les banques centrales ont pour mission de prêter de l’argent, pas d’en offrir. Comme l’a dit le président de la Réserve fédérale Jerome Powell dans son discours en mai, « la Fed a des pouvoirs en matière de prêts, pas de dépenses ».

L’avenir des banques centrales

Les banques centrales sont une espèce en constante évolution. Leur besoin d’indépendance est né durant les conditions très inflationnistes des années 70. Ce régime a exceptionnellement bien fonctionné en abaissant l’inflation aux objectifs ayant été fixés. Si nous sommes désormais dans une situation dans laquelle l’inflation est ancrée en permanence autour d’un objectif de 2 %, alors, par définition, les banques centrales vont très probablement être confrontées à la question du seuil zéro. La diminution progressive de l’influence politique sur la politique monétaire a également contribué à réduire l’inflation, tout comme la mondialisation et les progrès de la productivité technologique.

Si les banques centrales sont attachées à leur indépendance, elles ont récemment fait entendre leur voix de façon exceptionnelle en invoquant que des mesures budgétaires (par nature du ressort des politiques) étaient nécessaires. Le fossé entre les politiques et les banques centrales s’est encore creusé dans la mesure où ces dernières émettent désormais des opinions et se polarisent sur ce qui était auparavant des thématiques politiques. Par exemple, elles se concentrent désormais davantage sur les inégalités de revenus et sur le réchauffement climatique, deux sujets politiques historiquement brûlants et qui ne relèvent pas de la compétence de banquiers centraux non élus. Ce faisant, il pourrait être pratique pour les banques centrales de devenir moins indépendantes et le biais politique pour générer l’inflation pourrait être un changement approprié de direction économique.

Les implications pour les investisseurs

Dans la mesure où les autorités vont faire ce qu’elles peuvent pour sortir de la « limite zéro », quelles sont les implications pour les investisseurs ? Il serait logique de présupposer que pour échapper à la « limite zéro », il conviendrait de mener une politique monétaire et budgétaire énergique. Cela signifierait que les taux courts seraient maintenus au plus bas pendant plusieurs années, tandis que l’inflation se doit d’être rétablie comme une caractéristique permanente. Cela laisse potentiellement entrevoir une courbe des taux extrêmement pentue, avec des taux courts ancrés, d’importantes émissions d’emprunts d’État et une inflation rendant peu intéressants les rendements obligataires réels. Il est probable que de telles mesures de relance monétaire et budgétaire offriront un puissant coup de fouet à l’économie mondiale. Quel type d’impulsion offriront-elles en 2021 et au-delà ?

Il est nécessaire d’échapper à ce seuil pour des raisons de politiques micro et macroéconomiques. Pour ce faire, les banques centrales vont devoir être moins indépendantes car elles travaillent en étroite collaboration avec les gouvernements. Dans un tel scénario, la politique budgétaire et monétaire devra rester accommodante pendant un certain temps, potentiellement avec l’aide des banques centrales grâce à l’impression de monnaie afin de fournir le carburant nécessaire pour échapper à la « limite zéro ». Ce type de politique conduit généralement à une accélération de la croissance et de l’inflation. Cela est de bon augure pour l’économie et pour le risque de crédit, mais laisse entrevoir une augmentation des rendements obligataires à long terme.