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Qu’attendre de Jackson Hole ?
Calendar23 Aug 2021
Thème: Macro
Maison de fonds: Pictet

Thomas Costerg, Economiste Senior zone Etats-Unis, Pictet Wealth Management

  • La forme d’abord : Revirement de situation puisque la grande conférence de politique monétaire aura finalement lieu en distanciel, après avoir été prévue en présentiel. Ce revirement est une légère anicroche dans l’idée de tourner la page du virus que devait consacrer le ‘tapering’ de la Réserve Fédérale, même si au final l’institution semble résolue de réduire la voilure sur le quantative easing.

  • En effet, le variant Delta ne semble pas chambouler les plans déjà bien établis de la Réserve Fédérale d’un début de réductions des achats d’ici la fin de l’année, comme communiqué dans les dernières minutes et aussi à la conférence de presse du mois de juillet. Les Etats Unis semblent s’inscrire dans l’idée de « vivre avec le virus » via une stratégie surtout ciblée sur la vaccination, en l’occurrence avec une troisième dose de vaccin prévue à huit mois de la seconde dose. En disant récemment que l’impact du variant était « peu clair », le président Powell dénote une certaine sérénité quant aux conséquences économiques du Delta.

  • La baisse des achats d’actifs s’inscrit à la fois dans un contexte macroéconomique et technique. L’aiguillon clé de la Réserve Fédérale sur le plan macro est le taux de chômage, qui a baissé fortement à seulement 5.4% en juillet et pourrait continuer à baisser fortement dans les prochains mois notamment avec le retrait des allocations chômage extraordinaires (en septembre au niveau fédéral). L’inflation est forte à cause des goulets d’étranglement dans les chaînes de production et le pic de demande sur certains services, mais la Réserve Fédérale a tendance à balayer l’inflation au second plan en jugeant celle-ci surtout « temporaire ». L’inflation joue finalement assez peu sur le tapering.

  • Sur le plan technique, les marchés monétaires regorgent de liquidités et donnent lieu à un retour très important de liquidité via les opérations de « reverse repo », ce qui pose la question logique de continuer à ajouter 120 milliards de dollars de réserves bancaires supplémentaires chaque mois. La plomberie n’est jamais centrale à la Fed, mais c’est un facteur qui compte tout de même.

  • Par ailleurs il ne faut pas négliger le débat interne à la Fed sur la peur d’un gonflement dangereux du prix des actifs et en particulier des maisons. C’est un facteur secondaire important qui sous-tend la décision d’arrêter le QE. Le prix des maisons s’est envolé de 23% en glissement annuel au mois de juin 2021 notamment, une donnée qui a fait grand bruit notamment dans les antennes régionales de la Réserve Fédérale.

  • La Fed continuera à « vendre » le taper comme un retrait d’accommodation et non un resserrement monétaire. Nous concourrons dans l’analyse puisque les taux d’intérêt risquent de rester bas pour longtemps. En particulier, même si il peut y avoir des hausses de taux en 2023-2024, celles-ci pourraient bel et bien s’arrêter sous le niveau de l’inflation, c’est-à-dire sous 2%, et donc au final rester symboliques. De facto, la Fed reste dans un schéma implicite que seuls des taux bas permettra un désendettement en douceur. La Fed est extrêmement attentive quant aux risques de resserrement pour le cycle économique dans un contexte d’explosion des dettes, et elle préfèrera allonger le cycle quitte à prendre des risques d’effets secondaires d’une politique monétaire très accommodante.

  • La « big picture » c’est que la politique monétaire américaine devrait donc rester lâche durablement malgré cette décision de réduction des achats d’actifs. C’est bien la question la plus importante pour les investisseurs à long terme et notamment dans la décision d’allocation d’actifs.

  • A court terme, nous pensons que la Fed sera sensible aux incertitudes budgétaires au Congrès au mois de septembre et devrait donc « passer son tour » temporairement, mais les réunions de politique monétaire de novembre ou décembre seront celles d’une potentielle décision. Il est possible que la Réserve Fédérale baisse ses achats de 15 milliards de dollars par mois, dans un compromis entre faucons (qui souhaiteraient 20 milliards) et colombes de la Fed (qui penchent davantage vers 10 milliards).

  • Nous ne croyons pas à une hausse de taux avant 2023, et le speech de Jackson Hole devrait esquisser une séparation nette entre taper et hausse des taux. Powell devrait rappeler son discours de l’an dernier à Jackson Hole, qui reste mal compris, qui insiste sur la tolérance supplémentaire de la Fed pour une inflation plus élevée, bref, le renvoi aux calendes grecques des anciennes règles monétaires comme la règle de Taylor, qui a vécu son âge d’or dans les années 1990, une période où le taux neutre d’équilibre était par ailleurs deux points supplémentaires au-dessus des niveaux actuels.