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Anxiété à la BCE, confiance à la Fed et défiance sur les marchés émergents
Calendar24 Sep 2021
Maison de fonds: DPAM

Peter de Coensel, membre du comité de direction, DPAM

Peter de coensel
Peter de Coensel
Le Conseil des gouverneurs de la BCE a annoncé qu’il allait légèrement restreindre son programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP). Ses achats mensuels devraient donc passer de 80 milliards d’euros à environ 65-70 milliards. Pour certains observateurs, cette décision va à l’encontre de la stratégie présentée en juillet dernier, laquelle insistait sur la nécessité de mener une politique monétaire « déterminée ou de long terme » de manière à éviter toute déviation indésirable par rapport à l’objectif d’inflation.

Cependant, aucun sujet d’inquiétude particulier n’est ressorti de la conférence de presse. En premier lieu, la BCE a réajusté ses anticipations d’inflation qui sont passées de 1,4% à 1,5%. Elle a également relevé sa prévision de croissance du PIB à 5% pour 2021. En second lieu, la BCE reste sur la bonne voie pour atteindre son objectif d’utiliser la totalité de l’enveloppe prévue pour le PEPP d’ici à mars 2022. En troisième lieu, la banque centrale maintient la politique de flexibilité qu’elle prône depuis le début de la pandémie. En suivant cette voie de la moindre résistance, elle devrait donc continuer d’ajuster le programme d’achats après l’échéance de mars 2022, et ce en fonction des conditions qui prévaudront cet hiver et au début de l’année prochaine.

La BCE a choisi de s’abstenir de se prononcer sur l’évolution du programme d’assouplissement quantitatif au-delà de mars 2022 et cela peut s’expliquer par l’envergure de son engagement actuel. Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a fait appel à la patience des investisseurs, leur demandant d’attendre jusqu’à la prochaine conférence de presse qui se tiendra le 16 décembre pour obtenir davantage de précisions.

Dans l’intervalle, le contrôle implicite de la courbe des rendements est bien en place puisque le marché des emprunts d’Etat de l’UME et celui des obligations d’entreprises de qualité « investment grade » se trouvent quasi totalement sous la coupe du programme d’assouplissement quantitatif de la BCE.

Il y a bien longtemps que le taux sans risque n’a plus valeur d’indicateur pour ce qui concerne le cycle économique ou le cycle du crédit. Mais dès que l’on prend un certain recul vis-à-vis de la communication de la BCE, le sentiment qui transparaît est l’anxiété : celle de commettre une erreur de politique dans le cadre d’une construction européenne dont les lignes de faille sont nombreuses (et qui devra en outre affronter une année électorale chargée).

L’angoisse vient également de la sortie prématurée de sa stratégie de politique monétaire en juillet dernier qui pouvait, en effet, donner lieu à de multiples interprétations. L’incertitude concernant les résultats de l’analyse de l’inflation jusqu’en 2025 (1) rend très difficile l’interprétation du nouvel objectif d’inflation symétrique de 2%.

Résultat de cette situation, les gérants obligataires se préoccupent dorénavant plus de la forme de la courbe des taux que du niveau de ces derniers et les primes de terme sont au centre de tous les débats. Compte tenu du fait que les taux directeurs restent ancrés à -0,50% et qu’une part toujours plus importante des emprunts d’Etat européens et des obligations d’entreprises s’inscrit dans le bilan de la BCE, les investisseurs s’inquiètent moins de la direction que prendront des taux à 10 ans que du différentiel de rendement entre les échéances de titres à cinq, dix et trente ans. Mais ceci n’est peut-être qu’une hypothèse parmi d’autres…

En dépit du fait que les taux réels sont très négatifs de part et d’autre de l’Atlantique, l’impact des taux directeurs sur les épargnants est très conséquent, qu’il s’agisse des taux négatifs dans l’UE ou des taux nuls aux Etats-Unis. La plupart des banques européennes ont d’ailleurs pris la décision de pénaliser l’épargne en imposant un taux de –0,50% à partir d’un certain montant.

De plus en plus de ménages seront donc obligés de se diriger vers l’immobilier ou les marchés boursiers. Or, à moins de mettre en place des mesures macro prudentielles appropriées, un tel comportement pourrait induire une surchauffe du marché immobilier et provoquer des remous sur certains secteurs des marchés actions. Les banques centrales d’Australie et de Nouvelle-Zélande ont pris des mesures de ce type afin de calmer l’engouement pour l’immobilier, mais jusqu’à présent sans succès.

Dès le moment où la BCE fera état de ce type de risques, un concours de circonstances pourrait être susceptible de déclencher une réaction de panique sur les taux de l’UE. Cette dernière résulterait d’un retour prématuré vers un taux de dépôt nul et non pas de la décision de la BCE de s’engager dans un processus de remontée des taux.

Bien que le débat portant sur le niveau du « reversal interest rate » (2) soit passé de mode, il convient d’y revenir. Les taux de croissance à moyen terme dans la zone euro ayant atteint une vitesse de croisière acceptable, la BCE devrait examiner la question du signal adéquat qui préluderait à l’abandon de la politique de taux négatifs. La banque centrale suédoise a procédé à deux relèvements de taux, les faisant passer de -0,50% à 0,00% au début des années 2019 et 2020. Et malgré la pandémie, il n’a pas été nécessaire de revenir à -0,50%. Francfort serait donc bien inspiré de s’intéresser à la doctrine suédoise.

Si « anxieuse » est le qualificatif qui s’applique à la BCE, alors celui de « confiant » caractérise la banque centrale américaine. Peu désireuse de devoir subir les contraintes calendaires, la Fed a opté pour une communication basée sur l’inflation moyenne et un objectif de plein emploi inclusif.

Dans un premier temps, le marché est passé en mode panique entre novembre 2020 et mars 2021, mais cette réaction a été de courte durée. En donnant clairement la priorité à la stabilisation du marché de l’emploi, la Fed a permis au marché des bons du Trésor de rester stoïque lorsqu’il s’est trouvé confronté à des hausses des prix à la production et à la consommation. Ces dernières se sont traduites par un recul des taux réels pour toutes les échéances et en particulier les plus courtes : les emprunts d’Etat indexés sur l’inflation (TIPS) à 1 et 2 ans se sont échangés à respectivement -3,10% et -2,70%.

Les banques centrales des pays émergents ont considéré que l’inflation domestique de ces six derniers mois n’était pas un phénomène passager. La plupart d’entre elles ont donc décidé de procéder à des hausses préventives de leurs taux directeurs. La pandémie a en effet provoqué un accroissement de leur endettement et l’inflation sur les denrées alimentaires pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages. De plus, les campagnes de vaccination sont très en retard par rapport à celles des marchés développés.

Cependant, les marchés émergents bénéficient d’un avantage saisonnier sur le plan du coronavirus. La reprise de leur croissance est intacte et la déception provient davantage du rythme de cette croissance considéré comme trop lent que d’un véritable manque d’opportunités. De fait, les déficits des comptes courants se sont fortement réduits. De plus, l’octroi de droits de tirage spéciaux (DTS) par le Fonds Monétaire International (FMI) sert de protection aux comptes publics. La politique monétaire préventive mise en place a permis aux devises émergentes de se stabiliser, alors que les différentiels de taux vis-à-vis du dollar américain plafonnaient.

Le contraste entre la situation actuelle et celle qui prévalait en 2013 est évident. A l’époque, l’erreur de communication de Ben Bernanke concernant le durcissement de la politique monétaire avait déclenché un ralentissement des économies émergentes qui a duré plusieurs années et elle avait provoqué un cycle baissier sur la dette émergente. Aujourd’hui, la situation est totalement différente puisque le marché de la dette émergente est en phase de reprise depuis le 23 août (date de l’annonce de l’octroi d’un montant exceptionnel de DTS par le FMI). Par conséquent, le mois d’août 2021 pourrait bien être ce que le mois de mars 2021 a été pour les taux américains, une opportunité d’achat. Seul l’avenir pourra le dire.

(1) Dans son communiqué du 8 juillet dernier, le Conseil des gouverneurs recommandait d’introduire « progressivement les coûts des logements occupés par leur propriétaire » dans l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) Source : https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2021/html/ecb.pr210708~dc78cc4b0d.fr.html

(2) Lorsque les taux négatifs n’ont plus d’effet stimulant sur l’économie, mais au contraire qu’ils entraînent sa contraction, on dit qu’ils sont passés en mode « reverse ». Autrement dit, la politique monétaire deviendrait inefficace. Markus Brunnermeier et Yann Koby de l’université de Princeton sont à l’origine de cette théorie du « reversal interest rate ».