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Méfions-nous d’un défaut des États-Unis
Calendar20 Oct 2021
Maison de fonds: M&G Investments

Par Jim Leaviss, Directeur des investissements du pôle Public Fixed Income chez M&G Investments

Jimleaviss
Jim Leaviss
Le pays le plus puissant du monde, les États-Unis, se trouve à deux doigts d’un défaut sur sa dette dont il est lui-même responsable. Quelles pourraient être les conséquences d’un dépassement du plafond de la dette américaine ?

Un expédient a été mis en place jusqu’au 3 décembre, Dieu merci. Mais, ne nous voilons pas la face quant aux conséquences si le pire se produit. La secrétaire d’État américaine au Trésor, Janet Yellen, prévient qu’un défaut déclencherait une récession et un effondrement du marché actions, tandis que l’agence de notation Moody’s affirme quant à elle que les Américains auraient à « payer pour ce défaut pendant des générations ».

Nous connaissons l’origine du problème : la polarisation de la politique américaine et la toxicité des années Trump ont conduit près de 70 % des électeurs républicains à considérer comme illégitime la présidence de Joe Biden. Mais ça n’est pas nouveau. Le Président Barack Obama a dû faire face à une crise similaire en 2011, lorsque le Parti républicain avait également refusé de relever le plafond de la dette.

Historiquement, le plafond de la dette était destiné à empêcher un Président d’augmenter les dépenses pour mener des guerres étrangères. Aujourd’hui, il est devenu un outil politique utilisé pour tenter de ruiner les plans de relance budgétaire de Joe Biden et l’affaiblir. L’objectif final étant de permettre au Parti républicain la reprise du contrôle du Congrès lors des élections de mi-mandat l’année prochaine et, ce faisant, de priver Joe Biden de tout pouvoir pendant le reste de son mandat.

Les emprunts d’État qui arrivent à échéance au moment du possible défaut ont commencé à faire preuve de volatilité et les « credit default swaps » américains (une mesure du coût de l’assurance des emprunts d’État contre un défaut) ont augmenté, tout en demeurant néanmoins à des niveaux encore bas.

La crise du plafond de la dette en 2011 qui avait conduit à la dégradation de AAA à AA+ de la notation de crédit souveraine des États-Unis par S&P avait fait grand bruit à l’époque. S&P avait alors indiqué s’attendre à ce que la situation budgétaire des États-Unis se détériore au cours des années suivantes, ce qui s’est bel et bien produit et ce, au-delà des prévisions avec un déficit public atteignant 80,7 % du PIB en 2015 et 103 % en 2021.

Les dépenses liées à la pandémie de Covid sont certes en partie responsables de cette récente augmentation , mais ce chiffre reste néanmoins bien supérieur à ce qui est traditionnellement considéré comme un niveau prudent, à savoir 60 % maximum pour une économie notée AAA.À l’époque, S&P s’inquiétait également beaucoup du fait que l’absence de consensus bipartisan sur la politique budgétaire pouvait fragiliser la notation des États-Unis ; des craintes certainement plus prononcées aujourd’hui.

Faut-il donc s’attendre à de nouvelles dégradations de la notation de crédit des États-Unis ? Eh bien, oui. D’autant plus si les États-Unis font défaut sur le paiement des intérêts, même si ce défaut est plus technique qu’une restructuration formelle de la dette se concrétisant par des pertes pour les investisseurs.

Les emprunts d’État américains sont les piliers de l’économie mondiale auxquels toutes les obligations souveraines sont comparées. Leurs rendements servent de référence au taux sans risque pour l’économie mondiale à partir duquel sont valorisés les actions, l’immobilier et tout le reste. On peut donc s’attendre à ce qu’un paiement de coupon non honoré provoque le chaos sur les marchés financiers internationaux.

Toutefois, il est peu probable que les investisseurs (y compris la Chine et le Japon, qui détiennent chacun plus de mille milliards de dollars d’emprunts d’État américains) acceptent une décote sur cette dette. Pourquoi une nation souveraine, à même d’imprimer sa propre monnaie, aurait-elle besoin de restructurer sa dette ?

Et c’est là, selon moi, le problème des agences de notation. Le vrai risque aujourd’hui pour les investisseurs se situe davantage du côté de l’inflation. Un gouvernement pourrait provoquer de l’inflation dans le but de dévaluer sa dette (une inflation de 10 % réduit de moitié la charge « réelle » de la dette en 7 ans). Une notation de crédit AA+ indiquera seulement que les investisseurs pourront récupérer leurs 100 dollars à échéance mais ne prendra pas en compte que cette même obligation permettra d’acheter moitié moins de Big Mac en 2029 Et c’est précisément là où la méthodologie semble présenter une défaillance.

En attendant, soyons méfiants, car si la réputation des États-Unis en matière de budget et de pilotage des politiques est mise à mal, les marchés et les économies n’apprécieront guère.