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Macroscope : La fin du «parachute» des banques centrales
Calendar31 Jan 2022
Thème: Macro

Par Alexis Bienvenu, Fund Manager La Financière de l’Echiquier

Lorsque Jerome Powell, le président de la Fed américaine, a pris la parole mercredi dernier à l’issue de la réunion de politique monétaire, les marchés étaient crispés. Un resserrement monétaire inévitable allait être confirmé, imposé par une inflation hors norme et l’évolution très favorable de l’emploi. Mais après les baisses de marché intervenues depuis le début de l’année, on pouvait estimer que ces annonces étaient déjà bien anticipées et n’allaient pas aggraver la chute des marchés.

Il n’en a rien été. A l’issue de la conférence de presse, les actions ont chuté – avant de se reprendre certes quelque peu – les taux se sont tendus, le dollar n’a cessé de progresser contre l’euro, et l’or de baisser. Les propos de Powell ont donc surpris, non pas tant par les mesures implicitement annoncées que par le ton général, pour une fois fermement décidé à contenir l’inflation – qui n’est plus qualifiée de passagère – et insensible à la volatilité qui s’abat sur les actifs cotés depuis un mois.

Les marchés réalisent peu à peu que le resserrement monétaire ne sera pas forcément prédictible et lisse. Il sera fortement dépendant des données économiques – J. Powell a clairement insisté sur ce point, peut-être pour se rattraper d’avoir si longtemps minimisé la gravité des données concernant inflation. Lorsque l’on voit comment l’inflation a bondi en 2021 alors qu’elle avait disparu depuis des années, on peut craindre des sauts importants dans la politique monétaire. Une inflation élevée est volatile. Elle crée de la volatilité dans la politique monétaire... qui se traduit en retour par de la volatilité dans l’inflation. Cette nouvelle incertitude sur la suite de la politique monétaire peut légitimement troubler les marchés comme les entreprises.

Mais une seconde nouvelle incertitude s’ajoute à cette première, plus pénible peut-être pour les marchés : la disparition, ou du moins l’atténuation, de la fonction protectrice de la Fed en cas de chute de marché ou de l’activité économique. Lorsque l’inflation était basse, trop basse même, un trou d’air économique n’était pas forcément une mauvaise nouvelle boursière. Les banques centrales pouvaient y répondre par des mesures d’assouplissement, donnant naissance au principe selon lequel « une mauvaise nouvelle (économique) est une bonne nouvelle (boursière) ». L’épisode de mars 2020 l’illustre à merveille. C’est désormais fini, du moins pour un certain temps. En période d’inflation élevée, les banques centrales ont les poings liés : elles ne peuvent intervenir pour soutenir l’activité ou les marchés, sauf à défendre l’idée en cas de crise que le ralentissement est déflationniste, ce qui n’est pas toujours vrai, comme le montrent les crises vécues dans les pays à très forte inflation (Turquie, Argentine, etc.). Ainsi, dans le régime actuel d’inflation, la fonction « parachute » des banques centrales, que le marché appelle dans son jargon un put (une option de protection), n'existe plus – ou du moins, il ne peut être activé que beaucoup plus bas. Dans le contexte actuel, les banques centrales ne sont plus, jusqu’à un certain point, les gardiennes des marchés.

De ce fait, alors que les investisseurs se sont réjouis dans un premier temps de l’attitude débonnaire des banques centrales face à l’inflation, ils en voient aujourd’hui le prix à payer. Et la facture finale n’est pas encore connue, car le resserrement qui se met en place risque d’être long. Si au moins quatre hausses de taux de 25 points de base sont anticipées aux Etats-Unis en 2022, il en faudra plus du double pour parvenir au point d’équilibre à long terme anticipé, qui est de 2,5%. A cela s’ajoute, qu’après la Fed, la BCE pourrait devoir emboiter le pas, confrontée à une inflation presque aussi galopante – 5% en zone euro selon les dernières données, mais bien davantage dans certains pays (12% en Estonie !).

Heureusement, les entreprises comme les investisseurs s’adaptent. Le changement de régime d’inflation est certes brutal, mais de nouveaux équilibres s’installent… jusqu’au changement suivant. Malgré les dettes, malgré les doutes, ce resserrement qui paraît un Everest financier ne sera sans doute qu’une étape dans l’ascension continue, mais heurtée, des marchés sur le long terme.