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Reconfiguration de la mondialisation : le Vietnam est le grand gagnant
Calendar29 Mar 2022

Par Peter Garnry, Head of Equity Strategy chez Saxo Bank.

Depuis 2013, le Vietnam a le vent en poupe. La Chine est en déclin dans l’industrie manufacturière légère, et la guerre commerciale qui l’oppose aux États-Unis depuis l’élection de Trump en 2016 a encore accéléré ce repli.

Peter garnry
Peter Garnry
Le besoin de chaînes d’approvisionnement mondiales plus robustes a été exacerbé ces deux dernières années par la pandémie de Covid-19 et, plus récemment, par la guerre en Ukraine. Les entreprises des pays développés vont accélérer d’importants changements dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les pays qui en profiteront le plus sont le Vietnam, l’Inde et le Mexique. Pleins feux sur le Vietnam et son marché boursier.

En 2008, l’économie mondiale a atteint, en matière de commerce mondial et en pourcentage du PIB, un niveau record jamais égalé depuis. Rétrospectivement, il s’agissait d’un signal important dans le vacarme de la crise financière et des années de déclin qui ont suivi, avec la crise de l’euro et une croissance anémique dans les pays développés. La Chine était en plein essor et, grâce à ses mesures de relance massives, elle a sorti le monde de son marasme en 2009, mais les dominos avaient déjà commencé à tomber.

À partir de 2013, l’économie planétaire s’est mise à reconfigurer les chaînes d’approvisionnement mondiales. En Chine, les salaires avaient augmenté en 24 ans (de 1989 à 2013) de 15 % en base annuelle, érodant une partie de l’avantage concurrentiel de la Chine dans l’industrie légère. Depuis 2013, les salaires y ont augmenté de 9,8 % en base annuelle. Les dirigeants chinois s’en sont aperçus lorsque le pays a commencé à céder des parts de marché à des concurrents comme le Vietnam, l’Inde et le Mexique. Dans un premier temps, ils ont pris des mesures visant transformer la Chine d’une économie axée sur les exportations en une économie davantage centrée sur le marché intérieur et la consommation. Récemment, cette politique a été affinée par la stratégie d’autosuffisance, notamment dans la production de composants industriels avancés.

Dès 2013, les entreprises américaines et européennes se sont progressivement mises à diversifier leur réseau de production en éloignant la fabrication légère de la Chine. Lorsque Trump est arrivé à la Maison-Blanche en 2016 et qu’il a déclenché une guerre commerciale avec la Chine, il n’a fait qu’accélérer un changement déjà en cours. En novembre 2017, dans un discours prononcé lors du sommet des patrons de l’APEC, Trump a dessiné les contours de l’avenir en appelant à un espace indopacifique « pacifique, prospère et libre ». À Pékin, ce discours a fait retenir la sonnette d’alarme, la Chine a pris des mesures en conséquence et, depuis, la reconfiguration de l’économie mondiale s’est accélérée.

La pandémie et la guerre en Ukraine sont le carburant de propulsion de la démondialisation

La pandémie a montré aux entreprises que la suroptimisation incessante des chaînes d’approvisionnement, à coups de flux tendus, de faibles stocks et de décisions reposant sur les économies d’échelle, ne faisait pas le poids face aux années perdues lors d’un événement à risque extrême tel que celui-là. Depuis deux ans, la politique chinoise du “zéro cas Covid” a provoqué de graves contraintes d’approvisionnement et les confinements ont montré combien il est risqué de concentrer toute la production dans une seule usine ou un seul pays. Le nouveau mot d’ordre pour les entreprises est “résilience”.

Au moment où le monde se remettait de la pandémie, la Russie a décidé d’envahir l’Ukraine, déclenchant une nouvelle vague de fragilité. Les marchés mondiaux des matières premières ont été plongés dans le chaos, qu’il s’agisse de l’approvisionnement en métaux ou en blé destiné à nourrir la population mondiale. Le 24 février 2022, date où les chars russes ont franchi la frontière de l’Ukraine, restera dans l’histoire comme le jour où le changement des trajectoires des technologies, des stratégies nationales et des chaînes d’approvisionnement mondiales s’est accéléré.

Larry Fink, le CEO et cofondateur de BlackRock , a déclaré la semaine dernière dans le Financial Times que la guerre en Ukraine marque la fin de la mondialisation, mais il a 14 ans de retard. Pendant des années, nous nous sommes persuadés que la mondialisation que nous visions à atteindre à partir des années 1980, et qui s’est accélérée lors de l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001, était intacte et pouvait être maintenue en vie. Or, les événements de ces deux dernières années vont entraîner des changements considérables dans le monde et l’un des grands gagnants de la nouvelle configuration sera le Vietnam.

Le Vietnam, grand gagnant de la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement mondiales

Le cabinet de conseil américain Kearney a suivi la délocalisation de l’industrie manufacturière américaine depuis la crise financière. Dans son dernier rapport, il montre que cette industrie a entamé son retour au pays depuis 2008, et que ce retour s’est accéléré depuis 2013. Même avant la pandémie, la Chine perdait rapidement du terrain en termes d’exportations vers les États-Unis, au bénéfice d’autres pays asiatiques à faibles coûts, le Vietnam en tête. Selon l’Observatoire de la complexité économique (OEC), les États-Unis étaient en 2020 la destination de 25,6 % des exportations vietnamiennes totales, contre 17,3 % en 2013. La Chine recevait 16,5 % des exportations vietnamiennes en 2020. Le Vietnam est donc pour les États-Unis et la Chine un fournisseur de plus en plus important de composants clés pour équipements de diffusion, circuits intégrés, téléphones, chaussures textiles, vêtements et meubles.

Les actions vietnamiennes se sont bien tenues depuis début 2013 : elles ont gagné 9,7 % en base annuelle, avec un rebond impressionnant depuis les plus bas enregistrés pendant la pandémie. Le Vietnam a entamé en 2013 son marché haussier de près de 10 ans après un déclin brutal pendant la période 2008-2012, au cours de laquelle les actions vietnamiennes avaient lâché 69 %. Les perspectives semblent favorables, mais est-il à présent trop tard pour sauter dans le train en marche ?

Pendant les années 2010-2022, les bénéfices vietnamiens ont sous-performé le MSCI World, n’augmentant que de 50 % sur 12 ans, contre +180 % pour les bénéfices du MSCI World. Si nous nous concentrons sur la période la plus récente, qui couvre la guerre commerciale sino-américaine, nous constatons que les bénéfices vietnamiens ont augmenté de 170 %, contre seulement 80 % pour le MSCI World. Les actions vietnamiennes ne sont pas bon marché – le rendement du dividende ne dépasse pas 1 % –, mais cette valorisation résulte de la croissance des bénéfices de 18 % en base annuelle depuis début 2016.