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ESGnomics : Le défi de la décarbonation
Calendar29 Apr 2022
Thème: ESG
Maison de fonds: Rothschild & Co

Marc-Antoine Collard, Chef Économiste & Responsable de la recherche Rothschild & Co Asset Management.

Afin de prévenir un changement climatique sévère, le monde doit réduire rapidement les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). S’il existe encore des chemins pour atteindre le Net Zéro(1) d'ici 2050, ils restent cependant étroits et complexes.

Comprendre les sources d'émission

Année après année, les émissions de GES dues aux activités humaines, cause principale du réchauffement planétaire, continuent d’augmenter. Nous émettons environ 50 milliards de tonnes de GES dont le dioxyde de carbone (CO2) représente les trois quarts. L'utilisation de combustibles fossiles est de loin la principale source de CO2, bien qu'il puisse également émaner d’impacts directs induits par la déforestation et la dégradation des sols. Le Net Zéro d'ici 2050 est cohérent avec les efforts visant à limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels(2). Afin d'envisager la manière la plus efficace d’atteindre cet objectif, nous devons d'abord comprendre d'où elles proviennent. L’équation de Kaya(3) fournit un cadre d’analyse utile en les décomposant en quatre facteurs sous-jacents : (1) la population, (2) le PIB par habitant, (3) l'intensité énergétique du PIB, (4) et l'empreinte carbone de l'énergie.

Émissions territoriales de CO2 = Population x PIB/Population x Énergie/$PIB x Émissions de CO2/Énergie

Des niveaux élevés d'activité économique sont étroitement liés à l'utilisation d'énergie et à la consommation de ressources naturelles. Ainsi, la croissance de la population et du PIB par habitan – les deux premières composantes de l’équation de Kaya – ont été les principaux moteurs de l'augmentation des émissions mondiales de CO2 depuis 1970(4).

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En théorie, limiter la croissance démographique est un moyen de limiter les émissions de GES. En revanche, les projections montrent que la population mondiale devrait continuer à croître à horizon prévisible. De plus, bien que chaque personne supplémentaire augmente les émissions de GES, la contribution additionnelle varie considérablement selon les conditions socio-économiques et géographiques. Par exemple, le différentiel d’émissions de CO2 par habitant provenant des combustibles fossiles entre le plus gros et le plus faible émetteur correspond à un multiple de 91(5).

Par ailleurs, des réductions importantes du PIB par habitant sont politiquement irréalistes car la croissance économique est d'une importance capitale au regard de questions telles que la soutenabilité de la dette publique, des retraites ou encore du filet social. Dès lors, puisque les réductions d'émissions pour limiter le réchauffement climatique ne peuvent réalistement provenir des deux premiers facteurs, le monde doit miser sur la baisse de l'intensité énergétique et de l'empreinte carbone de l'énergie.

Un défi de taille

L'empreinte carbone de l'énergie a été essentiellement réduite des années 1980 à la fin des années 1990 en raison de l'effet différé des chocs pétroliers des années 1970. Cependant, depuis le début du 21e siècle, la tendance à la baisse a été ralentie par différents facteurs, notamment l’élargissement de la consommation de masse. Par exemple, la baisse des intensités énergétiques observée en Chine et en Inde a été partiellement compensée par l'augmentation des empreintes carbone de l’énergie dans ces pays. En effet, les premiers stades du processus d'industrialisation sont étroitement liés à l'accélération de la production d'électricité basée principalement sur les combustibles fossiles (principalement le charbon). En outre, la croissance rapide du secteur des transports a été alimenté par le pétrole(6). Cela étant, les émissions territoriales peuvent être en partie trompeuses. En effet, les économies développées telles que l'Union européenne et les États-Unis importent beaucoup de biens qui sont produits ailleurs, notamment en Inde et en Chine. Par conséquent, les émissions de GES attribuables à la consommation – et non basées sur la territorialité de la production – sont davantage révélatrices, quoique très difficiles à estimer.

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En somme, au cours des dernières décennies, la baisse de l’intensité énergétique et de l’empreinte carbone de l'énergie n'a pas été en mesure de compenser les effets de la croissance démographique et économique et, par conséquent, les émissions de GES continuent d'augmenter. D’ailleurs, même des circonstances sans précédent telles que les restrictions massives introduites pour contenir la pandémie de COVID-19 n'ont entraîné qu'une baisse de 6% des émissions de CO2 en 2020, et un rebond rapide au niveau pré-pandémique a vraisemblablement suivi(7).

Compte tenu des projections de croissance de la population et du PIB, les émissions de CO2 par unité de PIB (facteurs 3 et 4) devront donc diminuer d'environ 95 %, soit environ -9 % par an en moyenne de 2019 à 2050, afin de limiter le réchauffement climatique(8). À titre de comparaison, entre 1990 et 2016, le monde a atteint une moyenne de -1,8 % par an, ce qui implique que la vitesse moyenne de réduction des émissions de CO2 par unité de PIB au cours des trois prochaines décennies devra être près de cinq fois supérieure.

Importance de l’innovation et des changements de comportement

Il convient toutefois de noter que, dans le passé, les efforts liés au changement climatique n'étaient pas une priorité et, par conséquent, la plupart des pays n'ont mis en place que des politiques modestes. Aujourd'hui, le nombre de pays qui se sont engagés à atteindre des émissions nettes nulles d'ici le milieu du siècle, ou peu de temps après, continue de croître, couvrant désormais 135 pays, ce qui équivaut à près de 75 % des émetteurs mondiaux de CO2.

Néanmoins, la décarbonisation nécessitera des transitions majeures dans le secteur de l'énergie, impliquant un passage substantiel des combustibles fossiles aux sources d'énergie renouvelables et à une amélioration de l'efficacité énergétique. Sur ce plan, il est encourageant de constater que depuis 2010, des baisses d’environ 85 % des coûts de l'énergie solaire et éolienne, et des batteries ont été enregistrées(9). L’absence de capacité de stockage des énergies renouvelables représente néanmoins un défi majeur.

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Par émetteurs économiques, le secteur industriel représente environ un cinquième des émissions mondiales et leur réduction impliquera une utilisation plus efficace des matériaux, la réutilisation et le recyclage des produits et la réduction des déchets. Atteindre le Net Zéro nécessitera également une électricité (autre émetteur important) à émissions nettes faibles, voire nulles. Ainsi, des investissements massifs dans les technologies vertes existantes et dans le développement de nouvelles technologies révolutionnaires sont donc primordiaux. Cependant, la plupart des scénarios de réduction des émissions compatibles avec la poursuite de la croissance démographique et économique reposent à des degrés divers sur l'utilisation de technologies qui ne sont pas encore disponibles, ce qui ne peut qu'illustrer l'ampleur du défi.

La dématérialisation de l'économie (par exemple, par le passage de l'industrie manufacturière vers une économie de services) et la modification des comportements de consommation sont également des aspects essentiels pour atteindre les objectifs de réduction des GES. À cet égard, les politiques publiques couvrant la suppression progressive des subventions aux combustibles fossiles, la tarification du carbone et d'autres réformes du marché permettront l’émergence de signaux-prix(10) essentielle pour internaliser le coût du réchauffement climatique. En revanche, les gouvernements se heurteront sans aucun doute à une forte résistance d’une partie de la population.

Dans l'ensemble, une transition de l'échelle et de la vitesse nécessaires pour atteindre la voie du Net Zéro ne peut être réalisée sans un soutien et une participation active de chaque citoyen, car les changements affecteront de multiples aspects de leur vie – des transports, au chauffage, en passant par le marché du travail.

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(1) Zéro émission nette signifie que les émissions de GES sont réduites à un niveau aussi proche que possible de zéro, les émissions restantes présentes dans l'atmosphère étant réabsorbées par les puits de carbone, les océans et les forêts par exemple.
(2) IPCC, Global Warming of 1.5 ºC, Special Report, 2018.
(3) Kaya Y., “Impact of Carbon Dioxide Emission Control on GNP Growth: Interpretation of Proposed Scenarios”, 1990.(4) IPCC, Climate Change 2014: Working Group III: Mitigation of Climate Change.
(5) Raupach M.R. and all, “Global and regional drivers of accelerating CO2 emissions”, Proceedings of the National Academy of Sciences, 2007.
(6) IPCC, Climate Change 2007: Working Group III: Mitigation of Climate Change.
(7) IEA, “After steep drop in early 2020, global carbon dioxide emissions have rebounded strongly”, press release, 2 mars 2021.
(8) Lenaerts, K., S. Tagliapietra and G.B. Wolff, “Can climate change be tackled without ditching economic growth?”, Working Paper 10/2021, Bruegel.
(9) IPCC, “The evidence is clear: the time for action is now. We can halve emissions by 2030”, press release, 4 avril 2022.
(10) Reflet dans le prix des produits et services du coût de leur impact sur l'environnement.