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La France frappée de plein fouet par la crise énergétique
Calendar30 Aug 2022

Par Christopher Dembik, Head of Macro Analysis chez Saxo Bank

La France, c’est bien connu, est très dépendante de l’énergie nucléaire, qui fournit environ 69 % de sa production d’électricité. Mais les prix à terme de l’énergie y sont actuellement plus élevés que ceux de toutes les autres grandes économies européennes (comme l’Allemagne). Cela laisse perplexe. Le pire est à venir et il pourrait durer plus d’un hiver.

Les prix de l’électricité se dirigent en France vers des niveaux record. Le prix de l’énergie de base est supérieur à 900 € par MWh – voir graphique ci-dessous. De nombreux autres pays européens sont confrontés à des prix similaires (comme l’Allemagne, la Belgique ou l’Italie), mais les tensions sont plus fortes en France. Le prix à terme de l’électricité à un an y a atteint le niveau le plus élevé de toutes les principales économies européennes développées. Vendredi dernier, il affichait le record historique de 1 000 € par MWh (contre 900 € par MWh pour l’Allemagne), soit une augmentation de 1 000 % par rapport à la moyenne à long terme de 2010-2020. C’est aussi un signal clair que les traders ne s’attendent pas à ce que les prix reviennent de sitôt à la normale.

France baseload

Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays européens, la crise énergétique française n’a pas grand-chose à voir avec la guerre en Ukraine et les sanctions européennes contre le gaz russe. Elle s’explique principalement par des problèmes de corrosion dans les réacteurs nucléaires (ce qui a entraîné l’arrêt d’environ la moitié des cinquante-six réacteurs nucléaires français) et à de faibles niveaux d’eau liés à une chaleur inhabituelle durant l’été (ce mois-ci, trois réacteurs nucléaires ont été mis temporairement à l’arrêt en raison des conditions climatiques).

Le pays est fortement dépendant de l’énergie nucléaire. Celle-ci représente environ 69 % de la production d’électricité, soit davantage que dans tout autre pays. Quelque 17 % de l’électricité nucléaire est produite à l’aide de matériaux recyclés. Si les chaleurs estivales devraient bientôt cesser, les problèmes de corrosion, eux, sont en partie structurels et sont là pour rester.

Dans une déclaration faite il y a quelques mois, l’ASN, l’autorité française de régulation de l’énergie nucléaire, a indiqué que la remise en service des réacteurs nucléaires fermés pour cause de corrosion pourrait prendre plusieurs années. Le risque de pénurie d’électricité est donc réel cet hiver – et quelles que soient les conditions météorologiques. L’été, la demande d’électricité est d’environ 45 GWh.

L’hiver, la hausse de la consommation pousse la demande d’électricité autour de 80-90 GWh en moyenne. Cette augmentation mettra sous tension toutes les infrastructures électriques françaises, augmentant ainsi le risque de pénurie. Nous pensons qu’en matière d’approvisionnement énergétique, la position de la France est sans aucun doute plus précaire que celle de l’Allemagne, du moins à court terme.

Jusqu’à présent, le gouvernement français a atténué la crise en plafonnant les prix de l’électricité et du gaz pour les ménages (les prix du gaz ont été gelés aux niveaux de l’automne 2021 et l’augmentation des prix de l’électricité a été plafonnée à 4 % cette année). Cette mesure ne s’applique toutefois pas aux entreprises. Cette situation ne pourra pas durer éternellement. Le plafonnement des prix expirera à la fin de l’année pour le gaz et en février 2023 pour l’électricité, et le gouvernement ne prévoit pas de le prolonger. Il est trop coûteux (environ 20 milliards d’euros depuis le début de l’année sur un total de 44 milliards d’euros de mesures diverses destinées à soutenir les entreprises et les ménages confrontés à la forte inflation, soit l’équivalent du budget annuel total de l’éducation nationale). À partir de 2023, l’adoption de mesures plus ciblées pour aider les ménages à faibles revenus à faire face à la hausse des prix de l’énergie est le scénario le plus probable. Sera-t-il suffisant ? C’est loin d’être certain. Le retour du mouvement des Gilets jaunes de 2018 (manifestations massives contre le coût de la vie) n’est pas à exclure, selon nous.

Implications pour la politique monétaire de la zone euro

La France n’est pas le seul pays européen à se trouver dans une position très inconfortable. Si c’est chez elle que la situation est la plus difficile, l’ensemble du continent est confronté à la perspective d’un hiver rude en raison de la persistance d’une inflation élevée. Nous pensons que le pic d’inflation de la zone euro est à venir, contrairement aux États-Unis. L’explosion des prix de l’électricité est, avec la faiblesse du taux de change de l’euro et l’assouplissement des mesures gouvernementales visant à plafonner les prix à partir de 2023, l’un des trois facteurs nous incitant à penser que l’inflation restera élevée pendant une période prolongée dans la zone euro.

En termes de politique monétaire, cela signifie que la BCE est susceptible d’être plus agressive à court terme avant de revoir éventuellement son orientation si la récession se concrétise. Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, a été très claire à ce sujet lors du symposium de Jackson Hole la semaine dernière. Dans son allocution, elle a avancé trois arguments pour lesquels les banques centrales devraient agir avec détermination : 1) l’incertitude quant à l’inflation (il est impossible de prédire avec précision l’évolution des prix de l’énergie dans un environnement aussi volatile, par exemple) ; 2) la crédibilité ; et 3) le coût d’une action trop tardive (à certains égards, la BCE a certainement attendu trop longtemps entre le changement d’orientation de sa politique en février et le relèvement des taux d’intérêt en juillet).

À court terme, cela signifie qu’un poids plus important sera accordé aux chiffres réalisés (en particulier à la publication préliminaire, mercredi, de l’IPC de la zone euro en août, dont on prévoit qu’il atteindra un nouveau record de 9 % d’une année à l’autre). Ceci augmente la probabilité d’un mouvement significatif de 75 points de base lors de la prochaine réunion de la BCE le 8 septembre.