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Monthly Macro Insights | November 2022
Calendar15 Nov 2022
Thème: Macro
Maison de fonds: Rothschild & Co

Marc-Antoine Collard, Chief Economist & Head of Research, Rothschild & Co AM

La pandémie et la guerre en Ukraine font toujours des dégâts

Si l’impact de la pandémie s’est atténué dans la plupart des pays, il continue de perturber l’activité économique dans d’autres, notamment en Chine. Bien que le PIB chinois ait progressé de 3,9% en glissement trimestriel au troisième trimestre 2022 grâce aux effets de réouverture, marquant un rebond après la chute de -2,7% enregistré au deuxième trimestre, les indicateurs du mois de septembre ont dressé un tableau peu reluisant pour la fin du trimestre(1). Le chômage est monté à 5,5%(1) et la croissance des ventes au détail a ralenti plus que prévu, plombée par les mesures de confinement. D’ailleurs, l’espoir des investisseurs alimenté par diverses rumeurs quant à un possible assouplissement de la politique zéro-Covid s’est heurté à la fermeté de la Commission nationale de santé chinoise. Dans le même temps, les prix des logements ont chuté pour un treizième mois consécutif et le secteur immobilier, pourtant aidé par plusieurs mesures de soutien, s’est contracté pour un cinquième trimestre d’affilée, prolongeant ainsi la baisse la plus longue de son histoire. Le taux d’utilisation des capacités de production manufacturière est tombé à moins de 76(2), soit son niveau le plus faible en cinq ans si l’on exclut le point bas de la pandémie. Ces perturbations ont des répercussions à échelle mondiale, car la faiblesse de la demande domestique freine les importations chinoises et pénalise ses partenaires, tandis que les restrictions sur la production retardent la détente des chaînes d’approvisionnement, maintenant les pressions sur l’offre, et donc sur l’inflation. Les perspectives pour les prochains mois restent incertaines avec une confiance des entreprises passée en territoire de contraction en octobre, aussi bien dans le secteur manufacturier (49,2) que dans celui des services (48,7)(3).

Aux États-Unis, le PIB signe au troisième trimestre sa première expansion de l’année, avec une croissance de 0,6% en glissement trimestriel ou de 2,6% en rythme annualisé(4). Toutefois, cette croissance s’explique surtout par la réduction éphémère du déficit commercial, notamment grâce à la baisse drastique des importations, alors que la demande du secteur privé est restée anémique, fragilisée par la consommation des ménages et le secteur immobilier sur lesquels pèsent l’inflation et la hausse des taux d’intérêt.

En Zone euro, la croissance du PIB (0,2% en glissement trimestriel(5)) a été meilleure que prévu au troisième trimestre, l’économie allemande (0,3%) ayant étonnamment bien résisté en dépit des perturbations sur les chaînes d’approvisionnement, de la hausse des prix et des taux d’intérêt et de la guerre en Ukraine. L’indice S&P Global de confiance des entreprises, qui a reculé à 46,4 en octobre, indique cependant que le secteur manufacturier est déjà entré en récession. Le sous-indice des nouvelles commandes a fléchi à un niveau rarement atteint en 25 ans d’historique, rejoignant ceux atteints au plus fort de la pandémie et de la crise financière mondiale de 2008-2009. De plus, l’inflation a battu un nouveau record à 10,7% en octobre(5) et devrait rester près de ce niveau pendant un certain temps, rognant le pouvoir d’achat des ménages et maintenant la pression sur la BCE pour qu’elle continue à relever ses taux d’intérêt.

Face au risque de voir s’installer une inflation trop élevée, la BCE a procédé à une nouvelle hausse de 75 points de base (pbs) lors de sa réunion d’octobre et signalé que les taux devront être relevés davantage.

Les investisseurs dans l’attente d’un pivot

La persistance des pressions inflationnistes a déclenché un resserrement des conditions monétaires inédit par sa rapidité, son ampleur et sa diffusion entre les pays, ce qui a conduit à une forte appréciation du dollar américain et durci encore davantage les conditions financières pour le reste du monde. Les incertitudes continuent d’assombrir les prévisions de croissance mondiale et les risques baissiers sur l’économie demeurent élevés, tandis que les arbitrages politiques pour faire face à la montée de l’inflation sont devenus extrêmement complexes.

Ainsi, le risque d’un mauvais calibrage des politiques monétaire, budgétaire ou financière a nettement augmenté. Alors que l’activité économique commence à ralentir dans de nombreuses régions du monde et que des fragilités financières apparaissent, les appels à un assouplissement des conditions monétaires se multiplieront inévitablement. Pour autant, il existe des risques significatifs de resserrement insuffisant ou excessif. Dans le premier cas, l’inflation s’enracinerait encore davantage, les banques centrales perdraient en crédibilité et les anticipations d’inflation se désancreraient. L’Histoire met, par ailleurs, fortement en garde contre un assouplissement hâtif de la politique monétaire, le coût lié à la lutte contre l’inflation grandissant de façon significative. Dans le second, un resserrement excessif pourrait inutilement précipiter l’économie mondiale dans une récession profonde, surtout si les marchés financiers peinent à encaisser un resserrement trop rapide. Toutefois, les coûts de ces erreurs de politique ne sont pas symétriques et une nouvelle erreur d’appréciation sur la vigueur de l’inflation pourrait s’avérer beaucoup plus préjudiciable pour la stabilité macroéconomique future.

Dans ce contexte, la Fed a procédé à un relèvement de taux de 75 pbs en novembre pour la quatrième réunion d’affilée, portant la hausse cumulée à 375 pbs depuis mars. Un ralentissement du rythme de resserrement à un niveau plus habituel de 25 à 50 pbs par réunion est désormais probable, la Fed ayant confirmé que ses décisions futures tiendront compte de l’effet cumulé des hausses ainsi que du délai avec lequel la politique monétaire affecte l’activité économique et l’inflation. Toutefois, bien que le président de la Fed, M. Powell, ait souligné l’incertitude élevée entourant le niveau du taux directeur nécessaire pour juguler l’inflation, la résilience du marché du travail et de l’inflation suggère que ce taux pourrait être plus élevé que prévu.

En réalité, le niveau du taux terminal et la durée de maintien en territoire restrictif importeront davantage que l’amplitude des futures hausses de taux. Sur ce point, la Fed s’attend à ce que la politique monétaire reste restrictive pour une période prolongée, même si l’Histoire montre que les taux restent rarement à leur sommet, en particulier dans un contexte de tensions économiques. En adoptant une position plus restrictive à plus long terme, le président Powell a concédé qu’il sera certainement compliqué pour la Fed de réussir un atterrissage en douceur et que, par conséquent, la probabilité d’une récession s’avère élevée. Les investisseurs lui emboîteront-ils le pas ?

(1) China NBS, octobre 2022.
(2) FMI, octobre 2022.
(3) Indicateur reflétant la confiance des directeurs d’achat dans un secteur d’activité. Supérieur à 50 il exprime une expansion de l’activité, inférieur à 50, une contraction.
(4) US BEA, octobre 2022.
(5) Eurostat, octobre 2022.