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Rothschild & Co Asset Management : Après une première hausse des taux, quelle stratégie d’investissement ?
Calendar21 Mar 2023
Thème: Macro
Maison de fonds: Rothschild & Co

Didier Bouvignies, Associé-Gérant & Directeur des Gestions Rothschild & Co Asset Management.

Ce début d’année se caractérise par un ralentissement économique bien moins prononcé qu’anticipé de part et d’autre de l’Atlantique. Globalement, le sentiment des chefs d’entreprises dans le secteur des services redevient positif, laissant présager d’une meilleure tenue de l’économie qu’attendue, même si le secteur industriel, tout en ayant cessé de se dégrader, affiche encore quelques signes de faiblesse. La bonne nouvelle provient surtout de la réouverture de la Chine, un revirement de nature à remonter le moral des chefs d’entreprises à un niveau non observé depuis 2012.

L’inflation reste toutefois au coeur des préoccupations suite aux difficultés d’appréciations des banquiers centraux et à l’inquiétude croissante quant à leur pouvoir à juguler la hausse des prix. Globalement, les chiffres ont été rassurants à l’automne, en grande partie grâce aux baisses de prix des matières premières, notamment du gaz en Europe. Toutefois, force est de constater que la partie dite “coeur” des prix, c’est-à-dire, hors alimentation et énergie, n’affiche qu’une faible décrue aux États-Unis et reste ascendante en Europe. Par ailleurs, la baisse de la productivité observée par rapport à la période pré-covid conduit à renchérir le coût du travail, indicateur le plus à même de témoigner d’un régime d’inflation durable.

Dans ce contexte, les banques centrales ne peuvent modifier un discours qui, en synthèse, renforce l’idée qu’elles resteront très dépendantes des données macroéconomiques, notamment d’un marché de l’emploi dont on ne perçoit, pour l’heure, aucune dégradation. Plus encore, une nouvelle décrue des inscriptions au chômage illustre une certaine tension et induit que la hausse des taux pourrait être amenée à se poursuivre pour une durée prolongée. Alors que les marchés n’accordaient que peu de crédit à ces arguments, ces derniers ont néanmoins été amenés à réviser leurs perspectives, avec un taux terminal(1) estimé à 5,8 % à mi-année aux États-Unis et 4 % en Europe(2). La baisse pourrait se révéler beaucoup plus lente qu’anticipée, notamment au sein du Vieux continent où le taux de fin d’année ne sera probablement pas très éloigné de ce niveau de 4 %.

Dans cet environnement, les regards se tournent également vers le secteur de l’immobilier résidentiel. Après une forte hausse au cours de la “période Covid”, les prix ont commencé à baisser mais, eu égard aux récents mouvement de taux, la baisse reste relativement modérée pour l’instant. Cette configuration s’explique par trois éléments : l’indexation des loyers à l’inflation qui en améliore le rendement, le faible taux de chômage qui assure des niveaux d’occupation élevés mais, également, la rareté de l’offre qui maintient le secteur sous tension. Une accélération de cette baisse serait néanmoins un très mauvais signal car, historiquement, les crises immobilières ont accéléré les ralentissements économiques. Il faudra donc restés vigilants.

La bonne résistance de l’économie, en dépit de chocs exogènes liés notamment à la crise sanitaire, puis à la guerre en Ukraine, s’explique en grande partie par le soutien sans faille des États. Les mesures mises en place ont contribué à gonfler le niveau d’épargne des ménages, permettant aux entreprises de reporter la hausse du coût des intrants dans leurs prix de ventes, sans grever le pouvoir de consommation. Dès lors, la question des marges des entreprises commence à se poser.

Si les résultats publiés au titre de l’exercice 2022 témoignent d’une forte croissance des chiffres d’affaires et d’une légère compression des marges, ils traduisent la capacité des entreprises à ne pas absorber le coût de la hausse des intrants. Pour 2023, sans donner d’indication précise, les dirigeants ne font pas non plus état de forte dégradation. Dans un environnement de croissance réelle plus limitée, au sein duquel le consommateur aura plus de réticence à accepter des hausses de prix, les entreprises seront vraisemblablement amenées à compresser leurs marges, en prenant notamment en compte la hausse des coûts salariaux qui transparaitra certainement de manière plus aigüe en 2023 qu’en 2022.

Par conséquent, investir dans les marchés d’actions s’avère plus complexe. D’une part, à cause du risque sur les résultats 2023 qui restent toutefois attendus en hausse de 7,3 %(4) hors matières premières et, d’autre part, du fait de la dégradation de la valorisation relative de cette classe d’actifs par rapport aux marchés de taux. En effet, la prime de risque action(3), toujours très positive depuis 2007, s’est fortement dégradée depuis. Alors qu’elle était de l’ordre de 4 % aux États-Unis l’année passée, elle s’affiche désormais à 1,5 % malgré la baisse du marché action, essentiellement en raison de la hausse de 300 points de base des taux américains en 15 mois(5). Une dynamique similaire a pu être observée en Europe, au fur et à mesure que les taux progressaient, mais dans une moindre proportion, avec une prime de risque à 4,5 %, contre environ 6 % ces dernières années(5). Dans cet environnement, les stratégies value(6) parviennent toutefois à tirer leur épingle du jeu.

Certains secteurs faiblement valorisés voient effectivement la hausse des taux contribuer à l’amélioration de leur capacité à générer des résultats (banques et assurances, notamment) et conservent des niveaux de valorisation très inférieurs à leur moyenne historique. Plus globalement, face à cette dégradation des critères de valorisation des marchés d’actions, il nous paraît opportun d’essayer de capter du rendement sur des obligations d’entreprises de bonne qualité et de maturité moyenne (5 ans). Ce positionnement permet de bénéficier d’un portage durablement positif en captant un rendement nominal susceptible d’offrir une protection dans l’éventualité d’un contexte d’inflation persistante, sans prendre de risque de moins-value si la partie longue de la courbe des taux se tend.

Même après la réduction des spreads(7) observée au cours des six derniers mois, les obligations crédits continuent d’offrir des niveaux de marge permettant de générer un surcroît de rendement par rapport aux obligations d’États. Aussi, se positionner sur des titres Investment Grade(8) implique, certes, un moindre rendement par rapport au segment High Yield(9), mais permet d’éviter de s’exposer à un risque élevé en cas de dégradation conjoncturelle et de bénéficier d’une valorisation relative beaucoup plus attrayante en comparaison des normes historiques. Par ailleurs, les niveaux de valorisation au sein du marché Investment Grade intègrent une probabilité de défaut implicite nettement supérieure au pic de défauts effectifs observé au cours des trente dernières années (6 % contre 4 %)(5).

Cette analyse nous a incité à lancer un fonds à échéance 2028 Investment Grade en septembre 2022. Ce produit représente une opportunité d’arbitrage pour les nombreux investisseurs peu exposés jusqu’alors à la classe d’actifs. Cette nouvelle stratégie a d’ailleur rencontré un vif succès, en collectant plus de 800 millions d’euros(10) depuis son lancement auprès de profils très variés (particuliers, banques privés, institutionnels).